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L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes

L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes

Titel: L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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fois, il n’est plus question de Gaillard. On entend le canon. L’armée russe approche. Un grand branle-bas. La libération ? Non, hélas ! mais seulement l’évacuation du camp, nouveau calvaire, vers une destinée inconnue (198) .

D’AUTRES CAMPS, D’AUTRES KOMMANDOS
    Il suffit de feuilleter les registres matriculaires des départs en Kommandos ou les obituaires des camps (lorsqu’ils ont été conservés – totalité ou fragments épars) pour constater la présence de tsiganes dans le moindre centre de regroupement ou de travail. Cette ventilation anarchique correspond aux directives de l’inspection générale des camps (Oranienburg) chargée de faire respecter les instructions du Reichsführer S.S. relatives à « l’extermination par le travail » des tsiganes qui n’avaient pas été regroupés à Auschwitz en attendant qu’une réponse soit trouvée aux questions que posait leur survie dans ces « autres » camps ou Kommandos. Toute étude d’ensemble est impossible et nous devons nous contenter de quelques bribes de récits. Comme toujours, ces témoignages sont subjectifs et s’ils ne décrivent pas la réalité du phénomène concentrationnaire tsigane, du moins nous permettent-ils, au-delà des informations, de comprendre l’état d’esprit de certains déportés face à ce véritable mystère que constituait derrière les barbelés la « nature tsigane ».
    — Enfin (199) il y avait les tsiganes. Que pouvait être un tsigane, nous demandions-nous ? L’existence de ces êtres que notre souvenir chargeait complaisamment de folklore et de légendes, était pour nous des plus douteuses. Comme si l’administration des camps avait voulu souligner leur marginalité et un destin promis à l’effacement, elle leur avait imposé une couleur d’écusson plus discrète que toutes les autres : le marron. À moi, elle parlait de grandes étendues de terre, sous des crépuscules dont les ors virent au noir, de ces plateaux fangeux d’Europe centrale menacés par des forêts décharnées et battues par les vents d’un perpétuel automne ; elle faisait aussi lever l’image de tribus entières qui, dans l’espoir de rameuter les démons de la terre, font cercle autour d’un feu pour faire reculer l’abandon et la nuit – avant de repartir, ailleurs…
    — Je me souviens de Karesk ; trapu, osseux et d’un âge avancé, il se tassait sur sa solitude et, de son silence, il s’était fait une citadelle. Sur son épais visage de couleur bistre aux traits d’Asiate, l’éclat noir de ses yeux plissés se nourrissait de rêveries que je me plaisais à croire semblables à celles qui me venaient à son sujet. C’est par un après-midi d’hiver où, sur les collines givrées des alentours, un soleil rougeâtre allumait des éclats de joaillerie, que Karesk se laissa glisser à terre. Cet homme de la steppe, qui n’avait guère connu que des demi-clartés jouant sur des horizons vides et monotones, cet homme avait-il attendu ce jour d’une beauté minérale pour emporter avec lui, à six pieds sous terre, cette vision étincelante et glacée ? Ses voisins le relevèrent mort, et déjà presque raide.
    — De Karesk, j’ai connu aussi le compagnon inséparable, en âge d’être son fils : Radzek. Il était dégingandé et démesurément filiforme : son corps, qu’il balançait en marchant et même lorsqu’il restait sur place, se terminait par une tête chiffonnée et pleurnicharde aux narines palpitantes d’où pendaient deux filets de morve qui exaspéraient le chef de Block tout autant que ses plaintes et ses récriminations. Par crainte des coups, il avait appris à geindre de façon discrète et supportable pour les autres ; une complainte sourde et nasillarde, aux limites du sanglot, s’échappait de ses lèvres. À cette mélopée, lancinante, Radzek qui grelottait toujours, se réchauffait un peu. Cette chaleur, il paraissait l’emmagasiner dans ses yeux que des paupières mi-closes réduisaient à un trait de feu. Parfois, Emil, pour se distraire, lui demandait de chanter et de danser. Radzek, d’abord, avait du mal à se secouer ; puis une belle voix rauque lui revenait ; elle parcourait des plages, s’y étalait et s’y reposait un peu ; puis, c’était des gémissements grondeurs ; elle descendait et remontait des gouffres où un instant, elle se suspendait en surplomb ; tout d’un coup, il s’en servait comme d’un fouet ; alors son corps, qui

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