L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes
lits. Il n’y avait que des cas peu graves : des maladies saisonnières, des maladies liées à la sous-alimentation, et des complications de la gale. Un jour arrivèrent du camp des hommes, deux peintres juifs, avec des échelles, des pinceaux, des brosses et des couleurs. Il y avait une grande cloison séparant le vestibule, du Block proprement dit, semblable à un tympan d’église. C’est cette cloison qui fut peinte en blanc et sur cet enduit, les deux artistes peignirent un monde oublié ou inconnu des enfants. À l’animation qui régnait dans le Block, les enfants comprirent qu’il s’y passait quelque chose, et tous ceux qui étaient en état de marcher allèrent voir. Sous les pinceaux des peintres naissaient une plaine, des collines, une église, des maisons, des arbres, une mare, des canards, des oies, des poules, un chat, un chien, des oiseaux, une vache, une chèvre, une fermière. Les plus grands poussaient des cris de joie et nommaient à mesure qu’ils naissaient ces animaux qui leur avaient été familiers. Les petits ne les avaient jamais vus ou en avaient perdu tout souvenir mais leur joie était aussi grande et ils essayaient aussi de les nommer. Le chef de Block criait de temps en temps en allemand et en tchèque : « Au lit les enfants », mais sa voix était si peu sévère que les enfants faisaient mine d’obéir mais restaient. La présence des enfants apporta des transformations sensibles dans l’attitude du personnel. Seuls deux ou trois petits potentats voulaient demeurer inaccessibles aux sentiments de « faiblesse » et en tirer vanité, mais le charme agissait.
— Un jour, nos infirmières s’affairaient particulièrement à laver les petits et à faire leur lit. On aurait dit qu’on attendait une visite inhabituelle. Après l’appel, qui se faisait toujours à l’intérieur, la porte s’ouvrit grande et un magnifique évêque coiffé d’une mitre dorée ornée de pierres précieuses, porteur d’une vénérable barbe blanche et revêtu d’une longue cape étincelante de broderies d’or et d’argent fit une entrée solennelle. Dans la main gauche il tenait une crosse d’argent rehaussée de pierreries et des enfants de chœur le suivaient. Un grand silence se fit et après un instant de ravissement muet, un chant d’allégresse éclata dans les lits et emplit tout le Block. Je demandai tout bas, d’une voix émue, la signification de cette cérémonie et un camarade me répondit que c’était la Saint-Nicolas. Les enfants avaient reconnu le saint et chantaient l’hymne à saint Nicolas. Malheureusement, je n’en ai retenu ni les paroles ni l’air. Ils chantaient en deux langues : les enfants allemands en allemand, les Tchèques en langue tchèque. L’évêque avançait majestueusement dans les allées longeant les suites de lits et sa main droite bénissait dans toutes les directions. N’était-ce pas un miracle ? Saint Nicolas était descendu du ciel dans cette plaine désolée par les hitlériens, apporter la joie aux enfants tsiganes du camp de Birkenau. Et chaque enfant reçut un comprimé sucré. Quel bonheur !
— Je ne reconnus pas tout de suite dans saint Nicolas notre vieux camarade, le pharmacien Wladislaw, camarade exemplaire, plein de bonté et de sérénité. Notre vénéré ami parlait un français parfait, ayant fait ses études en Belgique. Sa lumineuse intelligence éclairait l’atmosphère du Block et apportait courage et réconfort. Ses observations étaient souvent sévères mais toujours justes, instructives et enrichissantes, méritant la gratitude. Le bon « dziadzin » (grand-père) avait trouvé quelques comprimés de vitamine dans la pharmacie et ainsi les enfants ont pu recevoir quelque chose de saint Nicolas.
— Quelle joie et quelle gratitude dans les yeux de nos « anges musiciens ». À l’aide de papier, coton, cellulose, d’une manche à balai et de chiffons, les infirmières et des camarades avaient réussi à confectionner les splendides ornements en secret, et offrir aux enfants cette fête inoubliable. La joie des enfants fut pour eux une récompense magnifique. Puisse Wladislaw Thorazy « dziadzin », pharmacien, y trouver aussi la consolation qu’il mérite.
— Les enfants tsiganes aimaient la musique et à peine convalescents, chantaient des chansons allemandes ou tchèques. Et pourquoi ne pas leur apprendre des chansons françaises ? Il fut très facile de leur apprendre le petit
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