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L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes

L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes

Titel: L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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assez exceptionnels : des cas d’hétérochromie. Toute une famille (elle s’appelait Mechau) de sept ou huit personnes, frères, sœurs, cousins et oncle, avait un œil noir et un œil bleu. On rencontre de temps à autre des yeux « vairs » mais exceptionnellement si différents. Ces tsiganes allemands grands, vigoureux et apparemment sains, venaient d’arriver. Ils furent tous répartis dans les Blocks-infirmeries.
    — « Pourquoi à l’hôpital et non dans les Blocks d’habitation ?
    — « Ils ne sont pas malades. C’est pour « l’observation » (zur Beobachtung).
    — Nous les examinons et mon ami J. B. me dit en me montrant une jeune fille blonde et vigoureuse :
    — « Que c’est curieux ! Celui qui l’épouserait croirait avoir deux épouses en la regardant du profil droit ou du profil gauche. »
    — Nous lui répondons :
    — « Tu as des pensées de bigame. »
    — Je reçois deux membres de cette famille dans notre Block.
    — Le lendemain, visite du docteur Mengele avec le cérémonial habituel. Je connais Mengele depuis assez longtemps pour que mon « Achtung » manque complètement de rigidité. À ce propos, je me rappelle qu’un Lagerarzt (Klein ? Lukas ?) nous faisait signe qu’il ne voulait pas d’Achtung. Donc, Mengele m’appelle à l’écart :
    — « As-tu vu la famille Mechau. L’hétérochromie ? »
    — Je lui réponds : « Oui, monsieur le Lagerarzt. »
    — Alors il me dit confidentiellement ceci :
    — « Eh bien, lorsque le temps sera venu (wenn es soweit ist), quand cela y sera, tu comprends ? tu prélèveras soigneusement les yeux, tu les mettras dans les flacons qu’on te préparera et on les expédiera à Berlin pour l’examen des pigments des iris. Tu comprends, question de génétique, d’hérédité dominante, récessive, etc. très intéressante (Höchstinteressant). »
    — Mengele me parlait avec tant de simplicité, tant de tranquillité que malgré tout ce que j’avais déjà vu, malgré tout ce que je connaissais, j’étais horrifié. Et j’étais horrifié non pas par le fait en soi mais par la confiante tranquillité de Mengele. Comment pour ces beaux jeunes hommes, ces belles jeunes filles, ni chambre à gaz, ni injection intracardiaque, mais mort attendue et guettée, donc calculée et prévue. Je pense à la réprimande du docteur Thilo lorsqu’il rendait responsable notre consœur L. A. de la cachexie des femmes tsiganes. Le docteur Mengele savait que cela devait se produire et ne nous en rendait pas responsable. Tous les médecins S.S. connaissaient l’évolution de l’état moral et physique des tsiganes, seulement Mengele l’avouait tandis que Thilo était ignoblement hypocrite.
    — Et Mengele ne se trompa pas : la gale vint, les lésions s’infectèrent, la sous-alimentation, l’avitaminose apportèrent leur concours, la tuberculose s’installa ou évolua et en l’espace de deux ou trois mois de « Beobachtung » à l’hôpital, « le temps est arrivé », es ist schon soweit, autrement dit : ça y est. L’un après l’autre on m’apporte un numéro et un flacon avec du liquide de conservation et… je prélève des yeux. L’autopsie montre pour la plupart du temps : tuberculose évolutive. Et ainsi des semaines passent et on ne parle plus de la famille Mechau.
    — Un jour, le secrétaire général du Krankenbau m’appelle par mon nom. C’était un homme cultivé, parlant assez correctement le français et l’allemand, ce qui est toujours rassurant lorsqu’il s’agit d’un Polonais. Il me dit discrètement :
    — « Tu sais, la famille Mechau se composait de huit membres et tu ne m’as remis que… quatorze yeux. Le dernier est mort il y a deux jours. As-tu prélevé les yeux ? »
    — J’étais atterré. Je balbutiai :
    — « Il est mort avant-hier ?
    — « Oui, me dit-il tout bas. Alors il est parti au crématoire avec ses yeux ? Te rends-tu compte, si les Allemands l’apprenaient ? Sabotage de la science. J’attends avec la déclaration du décès au secrétariat central, mais arrange-toi pour prélever « ses yeux ». »
    — Je prends le numéro et le flacon avec le liquide de conservation et il ne me manque plus que les yeux pour être en règle. Ces yeux du cadavre incinéré l’avant-veille ou la veille. J’éprouvai un curieux sentiment de gratitude envers ce secrétaire polonais. Son prénom Wojciech, mais son nom, oublié. Ainsi,

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