L'holocauste oublié
tsiganes : race à détruire, comme les juifs. Nos gitanes, raflées en Hongrie, en Autriche (surtout dans la région de Graz) et dans tous les cirques et boîtes de nuit de Berlin, avaient été ramenées d’Auschwitz et portaient leur matricule tatoué sur l’avant-bras. Je n’augurais rien de bon de la corvée qui nous attendait en leur compagnie.
— Derrière le plateau s’étendaient d’immenses bois de pins. On avait camouflé là-dedans une succursale de la Hasag qui fabriquait des « Panzerfaust » (grenades antichar). Usine montée de façon rudimentaire, sans aucune protection contre les vapeurs sulfureuses délétères qui empoisonnaient les travailleuses. Celles-ci étaient prises de vomissements, de crampes d’estomac et mouraient rapidement. J’eus la chance, une fois de plus, de travailler au grand air : nous chargions la marchandise finie dans les wagons, à raison pour une équipe de vingt femmes, de trois wagons de trois cent soixante-quinze caisses par séance de travail. Puis je me spécialisai dans le déchargement des énormes camions de la « Reichsbahn » qui amenaient des caisses de soufre de 80 kilos. C’était terriblement dur, mais nous avions l’avantage de former une équipe volante et de glaner de-ci de-là quelques nouvelles. Je leur expliquai ce que nous étions, et ils nous confirmèrent la prise de Paris et le débarquement à Toulon. Des prisonniers de guerre français transformés en travailleurs libres, espèce méprisable à nos yeux de « politiques pures », faisaient fonction de chauffeurs. Ils nous glissèrent quelques vivres, parfois un journal et finirent par adopter certaines d’entre nous à titre de filleules. Tout cela était bien entendu strictement clandestin. La vie au camp était un combat perpétuel. Il fallait se battre avec la Blockowa (une asociale allemande), pour avoir sa maigre part de nourriture. La policière en chef avait été condamnée pour brigandage. L’infirmerie était un pandémonium de gitanes hurlantes et miaulantes. L’une d’elles, qualifiée du titre de reine, déguisée en infirmière mais ignorant le premier mot du métier, traitait les blessées avec une grossièreté et une cruauté sans pareilles. J’appris plus tard, de la bouche du médecin civil de Schlieben, un nazi convaincu, qu’appelé pour un accouchement difficile et épouvanté de l’état sanitaire du camp, il avait proposé de faire chaque semaine une consultation gratuite. Le commandant lui avait répondu : les S.S. se soignent tout seuls. Le soir après le travail, les appels étaient interminables : les gitanes constituaient une faune mobile et fantasque, et notre commandant, jeune « Untersturmführer », fort satisfait de sa personne, ne possédait pour exécuter ses ordres qu’une demi-douzaine de souris et cinquante vétérans à moustache blanche. Cet état-major d’opérette était totalement débordé par les mille diablesses dont certaines, pour comble, étaient fort séduisantes. On n’en finissait pas de les compter, de battre les buissons à la recherche des évadées. Les Françaises, pendant ce temps, faisaient le piquet ; lorsqu’enfin l’on tombait sur sa paillasse terrassée par le sommeil, les gitanes, souples comme des chats, entraient par les fenêtres et volaient jusque sous notre tête les derniers débris de nos richesses.
— Le camp de Schlieben eut bientôt, lui aussi, son affaire policière.
— « J’avais (205) passé la journée à charger les lourdes caisses de « Panzerfaust » sur des wagons. Il pleuvait. J’étais trempée jusqu’aux os. À l’arrivée au camp (deux kilomètres de marche), je quitte robe et chemise afin que ma chemise soit au moins sèche pour le lendemain. J’avise avec une camarade un tas de couvertures qui n’étaient pas en très bon état, mais elles étaient sèches : nous en prenons une et la partageons. Ainsi nous avons pu dormir au sec.
— « Le lendemain matin j’ai eu le tort de glisser ce morceau sous ma paillasse afin de le retrouver le soir car la journée s’annonçait « pluvieuse ». Hélas ! il fut découvert, le lendemain matin donc, à 5 heures, deux tsiganes polonaises qui remplissaient les fonctions de Stubowas, pénètrent dans le Block, me font lever… et en route pour la place du camp où un bureau était installé avec des officiers et une vingtaine de soldats en armes. C’était le jugement. On m’interroge. Une interprète traduit
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