L'holocauste oublié
demandes sont ainsi introduites qui se traduisent d’avril à juillet 1943 par la libération successive d’au moins neuf des familles sur les quatorze que mentionnait la liste fournie au consul belge. Ainsi par exemple, les familles Toloche et Boudin se fixent à Cersay, petite localité des Deux-Sèvres.
— Ici interviennent à nouveau les lacunes de la documentation à propos des tsiganes. Sans trop que l’on sache pourquoi ni comment, dans la seconde moitié de 1943, une partie, mais une partie seulement, des internés de Montreuil-Bellay (y compris beaucoup de libérés) sont repris ; quarante-trois des cinquante-neuf noms de la liste figurent dans le convoi d’Auschwitz. Il apparaît qu’ils ont transité une quinzaine de jours à la prison de Loos-Lille avant d’échouer, le 9 décembre 1943, à Malines. Leur présence ainsi que celle de plusieurs internés arrêtés dans le nord de la France nous porte à croire que ce dernier transport comportait essentiellement les tsiganes de Montreuil et ceux raflés dans les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais.
— Plusieurs questions restent donc pendantes. L’examen détaillé laisse apparaître en effet l’incohérence qui a présidé aux nouvelles arrestations des libérés. Dans une famille, le mari a été pris, non la femme, même différence de sort d’ailleurs entre parents et enfants, entre frères et sœurs ; entre familles installées au même endroit, voire dans la même maison. À l’intérieur du camp, la sélection joue aussi arbitrairement – à notre connaissance du moins. Autre problème non résolu : pourquoi Malines, et non Drancy, antichambre française d’Auschwitz ? Pourquoi aussi inexplicablement qu’elle avait débuté, la déportation s’arrêta-t-elle après ce seul convoi, Montreuil-Bellay conservant des tsiganes jusqu’à la fin de la guerre ? Des éléments en notre possession, il résulte en effet que si l’internement continua d’être la condition générale des tsiganes tant au sud qu’au nord de la ligne de démarcation, et que les tribunaux français sévirent contre les évadés repris, la déportation collective en Allemagne cessa, elle, complètement après janvier 1944. Des tsiganes belges furent encore signalés aux camps de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) et Sallières, dans les Bouches-du-Rhône. Mais la zone « mono » ne connut jamais la déportation, ceux qui y séjournaient ignoraient jusqu’à l’existence des camps en Allemagne.
— À la caserne Dossin à Malines, les tsiganes vont vivre un ou deux mois selon les cas, dans des conditions effroyables. Enfermés dans trois salles au fond de la cour, dépouillés de tout, totalement isolés et de l’extérieur et des prisonniers juifs, ils n’avaient droit qu’à deux heures d’air frais par jour. Tournant en rond sous la menace de mitraillettes, ils étaient conduits par trois violoneux auxquels les instruments étaient repris la promenade finie. Des coups de fouet dans les reins punissaient les mères dont les enfants en bas âge salissaient la paillasse. Mais les chambres étant démunies de lieux d’aisance, les détenus chargés, après le départ, du nettoyage, découvrirent dans une odeur pestilentielle les dalles couvertes d’excréments. Dans ces conditions d’hygiène impossibles, un enfant né à Malines mourut en quinze jours.
— Le 15 janvier 1944, les 351 tsiganes détenus furent enfermés dans les wagons à bestiaux, dotés d’une unique boule de pain et ne revirent la lumière, mourant de faim et de soif, qu’à Auschwitz le 18.
AUSCHWITZ : CAPITALE DU CRIME
— Le 2 juin (34) au matin, un Stubendienst vint nous dire que plusieurs médecins seraient désignés pour être transférés au camp tsigane. La nouvelle d’un transfert n’est jamais réjouissante en camp de concentration. Le chef de Block vint peu après nous dire que c’était décidé et remit la liste au Schreiber. Celui-ci appela les numéros et le mien était sur la liste.
— Nous disons adieu à quelques camarades et nous descendons dans la cour où nous trouvons plusieurs dizaines de détenus venus d’autres blocks. Parmi eux le docteur N.S. que je connaissais depuis un mois environ. Un secrétaire vint faire l’appel et nous nous mîmes en rangs par cinq. Notre groupe se composait de Pflegers-médecins et Pflegers-non médecins. Quelques S.S. vinrent former l’escorte sous le commandement d’un gradé que nous
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