L'Homme au masque de fer
commença-t-il, je n’ai pas exagéré, car il s’agit d’un secret d’État, et qui peut un jour compromettre l’avenir de la dynastie…
Colbert ne put réprimer un tressaillement. Il crut d’abord à un complot espagnol ou autrichien, fomenté par quelques-uns des grands, et semblables à ceux que le cardinal de Richelieu avait déjà eu à réprimer.
– Parlez, Monsieur !
Durbec entra tout de go dans le vif du sujet.
– Saviez-vous, Monsieur, que Sa Majesté Anne d’Autriche a deux fils ?
Colbert parut stupéfait.
– Deux fils ?
– Deux fils, répéta Durbec, qui sentit tout de suite sa partie gagnée. Un, légitime, l’autre adultérin… Mais ce qui est grave, c’est que c’est l’illégitime qui est l’aîné… et que, circonstance aggravante, il ressemble à son frère notre jeune roi Louis, d’une façon impressionnante…
– Que dites-vous là ?
– La stricte vérité !
– Pour avancer une chose si grave, il faut que vous ayez des preuves !
– La meilleure est encore l’existence de cet enfant, qu’il vous est loisible de contrôler !
– Et le père ?
– Il est mort…
– Il y a longtemps ?
– Le jour où vous avez pris la place du cardinal, Monsieur.
– Quoi ! Voudriez-vous dire que Son Éminence…
Le visiteur fit un léger signe de tête.
Colbert sembla réfléchir profondément.
– Savez-vous que voilà de graves révélations ? dit-il enfin. J’espère que personne n’est au courant de cette naissance clandestine ?
– Quelques-uns, Monsieur.
– Vous les connaissez ?
– M me la duchesse de Chevreuse…
– L’amie intime de Sa Majesté… C’est logique. Après ?
– Un chevalier gascon, actuellement lieutenant aux mousquetaires, M. de Castel-Rajac, qui n’a pas craint d’endosser la responsabilité de cette affaire en reconnaissant l’enfant.
– Morbleu ! C’est galant ! Il connaissait le nom des parents ?
– Non ; il ne les a appris, je crois, que dernièrement.
– Enfin, il sait lui aussi. Après ?
– La sage-femme qui a présidé à la naissance de l’enfant. Mais au fait non : je me souviens maintenant qu’elle a toujours ignoré la qualité de l’illustre malade.
– Elle sera à surveiller. Ensuite ?
– Il y a encore deux amis du chevalier de Castel-Rajac : MM. d’Assignac et de Laparède qui sont aussi intéressés dans cette aventure.
Colbert, au fur et à mesure, avait pris des notes et crayonné les noms.
– C’est tout, conclut Durbec, satisfait.
Le ministre parcourut rapidement sa liste.
– Somme toute, peu de personnes. Quatre en tout, une incertaine… Sont-elles capables de divulguer ce secret un jour ?
– Certainement non, répondit vivement l’interpellé, qui devina l’idée de son vis-à-vis.
– Je vous remercie, monsieur… Je saurai vous prouver ma reconnaissance en temps et lieu pour l’important service que vous venez de rendre à la couronne. Je vais réfléchir à tout ceci…
Il se leva, indiquant par là que l’entretien était terminé. Durbec salua et partit, cette fois triomphant d’une joie démoniaque. Il était sûr que sa dénonciation n’allait pas rester sans effet !
CHAPITRE II
LE TEMPS DES PÉRILS
À quelques jours de là, un cavalier, âgé de quarante à quarante-cinq ans environ, à la petite moustache grisonnante, droit en selle et cambré comme un jeune homme, galopait à toute allure sur la route qui conduisait de Paris à Saint-Germain.
Le chevalier de Castel-Rajac dut s’interrompre, car son cheval, fatigué par une course longue et rapide, venait de broncher. D’un énergique rappel de bride, le Gascon l’empêcha de tomber sur les genoux et le força à se redresser. Puis, silencieusement, il continua sa route.
Ce n’était plus avec l’entrain qu’il mettait autrefois que le gentilhomme allait rejoindre sa belle amie. Que s’était-il donc passé ? Quelle catastrophe avait bouleversé leur existence jusque-là si paisible ?
La veille même, ainsi qu’il le faisait presque journellement, Henry, devenu un charmant jeune homme de vingt-trois ans, à la fière allure et aux traits virils, avait manifesté le désir de monter à cheval.
Excellent écuyer, le fils de la reine Anne d’Autriche parcourait de longues distances, par champs et par bois, trouvant dans cet effort physique un dérivatif aux études plus ou moins austères qu’il poursuivait avec son précepteur.
Ce
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