L'Homme au masque de fer
travers les trous du loup de velours, il voyait le feu de ses prunelles.
Un court silence régna. L’inconnue ne se pressait point d’entamer la conversation. De son côté, Castel-Rajac attendait respectueusement qu’on voulût bien l’interroger. Il avait cru, malgré les précautions prises, reconnaître une illustre voix. Il attendit, plein de déférence.
– Monsieur de Castel-Rajac, reprit la femme masquée, j’ai beaucoup entendu parler de vous, et le désir m’est venu de vous connaître. Je ne peux vous cacher que ce que j’ai ouï-dire à votre sujet était tout à votre louange.
– Madame, répondit le Gascon avec finesse, la personne qui vous a renseignée a témoigné d’une grande indulgence à mon égard, et je vous prie de l’assurer de toute ma reconnaissance.
– On m’a dit, monsieur, que vous étiez aussi chevaleresque que brave, et que, le cas échéant, vous n’hésitez pas à vous lancer dans les plus compromettantes aventures pour sauver l’honneur d’une femme…
– Ce que j’ai pu faire n’a rien d’extraordinaire, Madame, et tout gentilhomme de France l’eût fait avec joie comme moi je l’ai fait !
– Cette réponse est digne de votre modestie, chevalier… À propos : on m’a rapporté que vous aviez un fils ?
– Oui, Madame. Un charmant enfant, auquel je suis attaché profondément…
– Vous êtes marié ?
– Non, Madame.
– Une aventure ?
– Si vous voulez, Madame.
– Vous êtes discret, chevalier !
– Madame, l’honneur d’une femme en dépend. Cette raison doit être suffisante pour que je le sois…
– Je vous en félicite. Vous êtes bien tel qu’on me l’a dépeint ! À propos : puis-je connaître le nom de cette femme ?
– Je regrette. Madame, mais… même à vous, je ne puis le dire !
– Peut-être l’ignorez-vous ? lança l’inconnue avec hardiesse.
Castel-Rajac se redressa.
– Non, Madame, dit-il avec un respect infini. Je connais le nom de la mère de mon fils. Mais ce nom, je le garde dans mon cœur, et il faudra l’ouvrir pour l’y lire ! Sur mon épée, moi vivant, personne ne le saura !
Les yeux de l’inconnue brillèrent davantage. Castel-Rajac ne baissa pas les yeux.
Elle se leva.
– Chevalier de Castel-Rajac, dit-elle lentement, je ne sais ce que vous réserve l’avenir. Partez, maintenant. Mais avant, je veux vous dire ceci : veillez sur cet enfant, qui est le vôtre, avec le soin jaloux et la tendresse que vous lui avez toujours témoignés. Le cœur d’une mère n’est pas toujours assez fort pour préserver des embûches de la vie : il faut parfois un grand courage et un cœur fort pour les détourner. Je suis certaine que vous y parviendrez !
Elle sortit de la mante noire un bras et une main d’une blancheur et d’une forme admirables, et les tendit au chevalier, qui, mettant un genou en terre, y déposa respectueusement ses lèvres. Puis Castel-Rajac se releva.
– Madame, dit-il, je renouvelle devant vous le serment fait jadis : donner ma vie, s’il le faut, pour cet enfant et pour sa mère !
– Adieu, chevalier ! murmura la voix harmonieuse, aux inflexions un peu tristes. Je suis heureuse d’avoir fait la connaissance, ce soir, d’un parfait gentilhomme.
L’autre dame masquée se leva et ouvrit la porte. Le Gascon sortit, et, précédé par son guide muet, refit en sens inverse le chemin déjà parcouru pour venir.
Lorsqu’il se trouva devant la petite porte du Louvre, devant laquelle coulait le fleuve, il se tourna vers son guide anonyme. Sous le masque de velours, il vit se dessiner un malicieux sourire, et un regard brillant se posa sur lui.
– Marie ! murmura-t-il.
Et, sans attendre la réponse, persuadé qu’il s’agissait là de sa belle amie, il l’attira vers lui et posa ses lèvres avec fougue sur la jolie bouche souriante.
Alors, un frais éclat de rire retentit, et une voix inconnue lui répondit :
– Monsieur le chevalier de Castel-Rajac, vous êtes bien entreprenant… Je me nomme Gilberte, et je ne suis que la première camériste de… de celle que vous venez de voir !
Et laissant le Gascon encore tout ébaubi, elle lui ferma la porte au nez…
TROISIÈME PARTIE
LE PRISONNIER DE L’ÎLE SAINTE-MARGUERITE
CHAPITRE PREMIER
LA VENGEANCE DE DURBEC
Tant que vécut Mazarin, Castel-Rajac continua de s’acquitter de ses fonctions de lieutenant aux mousquetaires avec autant de brio que de loyauté, et de
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