L'Homme au masque de fer
jour-là, précisément, le soleil brillait dans un ciel sans nuages. Il ferait bon dans la forêt. Le jeune homme sauta en selle et piqua des deux.
En quelques instants, il fut hors de vue du château de Chevreuse. Le village se trouvait à quelque distance. Il lui tourna carrément le dos, et se dirigea vers la forêt.
Ce fut enfin le couvert, les branches feuillues des grands arbres qui étaient pour lui des amis.
Il mit son cheval au trot, afin de pouvoir mieux jouir de la délicieuse fraîcheur du lieu. Un ramage d’oiseaux se faisait entendre, étourdissant ; une mousse épaisse, où les sabots de sa monture enfonçaient profondément, garnissait le sol d’un somptueux tapis naturel.
Tout à coup, sa bête fit un écart. Le jeune prince aperçut alors un homme couché au pied d’un chêne.
Henry avait bon cœur. Il crut le malheureux blessé, et s’approcha.
– Qu’avez-vous, brave homme ? questionna-t-il. Êtes-vous souffrant ? Puis-je quelque chose pour vous ?
– J’ai été attaqué par des bandits, geignit l’inconnu. Ils m’ont frappé…
Ému à l’idée que l’inconnu pouvait souffrir, et désirant lui porter remède, Henry mit pied à terre et s’approcha de l’homme afin de l’examiner.
Mais dès qu’il fut près de lui, le « blessé », se jetant aux jambes du cavalier, les emprisonna, l’empêchant de faire un pas. Au même instant, plusieurs individus sortaient de derrière les troncs d’arbres qui les dissimulaient et se précipitaient sur leur victime avant que celle-ci ait le temps de tirer son épée. Henry se trouva assailli, désarmé par cette bande de furieux.
Alors, deux hommes s’approchèrent. L’un d’eux était un gros homme, à l’aspect rude, mais franc. C’était M. de Saint-Mars, gouverneur de la forteresse de l’île Sainte-Marguerite, qui avait été mandé d’urgence à Paris. Il avait l’air peu satisfait et se tourna vers son compagnon pour lui exprimer son mécontentement.
– Voilà de la vilaine besogne, monsieur, et qui ne me plaît guère ! dit-il avec sa franchise d’ancien soldat. Cette attaque ressemble furieusement à un guet-apens. Je n’aime pas cela !
– C’est évidemment regrettable, mais nous n’avions pas le choix des moyens ! répliqua le chevalier de Durbec.
Il tenait à la main un engin bizarre. C’était un masque, mais un masque de fer, percé de deux trous pour les yeux, un autre pour le nez, un autre pour la bouche.
Cachant mal sa joie, il s’approcha rapidement du jeune homme toujours immobilisé, et lui appliqua cet engin sur le visage.
Henry eut beau clamer son indignation et sa fureur, le masque était mis et bouclé.
– Vous me rendrez raison de cette violence ! s’écria le fils adoptif du chevalier gascon. Pour quel motif me traitez-vous ainsi ?
– Monsieur, répondit Durbec avec une politesse exquise qui dissimulait mal son triomphe, nous avons des ordres et les exécutons !
– C’est indigne ! Je n’ai commis aucun crime !
– Nous ne pouvons vous donner aucune explication !
Cependant, le masque fermé, les soldats, tout en maintenant toujours énergiquement leur prisonnier, lui permirent de se relever. Ils le dirigèrent vers un carrosse qui attendait dans une allée parallèle, et l’y firent monter.
Aussitôt, on verrouilla soigneusement la portière, non sans que M. de Saint-Mars et Durbec lui-même soient montés tenir compagnie au prisonnier.
La voiture se mit en branle, entourée par l’escorte des cavaliers qui avaient accompli cet enlèvement et qui ne se doutaient nullement qu’ils emmenaient vers une captivité perpétuelle le frère illégitime de Sa Majesté Louis XIV.
L’équipage sortit de la forêt, et prit la route du sud. Ce fut un vrai voyage, car le carrosse dut traverser toute la France pour rejoindre l’île Sainte-Marguerite, qui paraissait offrir, tant par son isolement maritime que par les solides fortifications de son château, toutes les garanties de sécurité qu’exigeait la garde d’un prisonnier d’État.
Colbert avait donné l’ordre de tuer le jeune Henry s’il parvenait, chose d’ailleurs invraisemblable, à se débarrasser de son masque, et avait ordonné, néanmoins, de traiter l’homme au masque de fer avec les plus grands égards.
Aussi, pendant tout le voyage, fut-il, de la part de ses deux compagnons, l’objet des attentions les plus grandes.
Ce fut pourtant en vain que le jeune homme, à plusieurs
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