L'honneur de Sartine
à…
– Passe, passe, nous te croyons sur parole. Tu t’es donné bien de la peine ! Et alors, elle s’est abonnie ?
– Hé ! Entre deux carillons, elle m’a parlé du fils aîné, un escogriffe qui l’avait poursuivie sans qu’elle s’en laissât conter…
– Tu as eu de la veine qu’elle ne rôtisse point le balai, dit Bourdeau sarcastique, le godelureau est poivré !
– J’espère que la garce ne m’a point menti sur sa résistance. Enfin, elle n’a pas laissé de me surprendre en me livrant ses soupçons sur Merlot, le commis homme de confiance de M. de Ravillois. Ce gueux lui avait manqué. Poussée dans ses retranchements, elle m’avoua, encore marrie, qu’elle avait le béguin pour lui, mais qu’il l’avait dédaignée quelles que fussent les avances qu’elle avait multipliées à son égard.
– Le dépit chez une femme peut conduire à la haine.
– Certes ! Mais elle a continué à dauber sur la chose, jusqu’à suggérer que Mme de Ravillois ferait la cabriole avec le susdit commis. Et les détails ont suivi !
– À ce point.
– J’ai beaucoup donné de moi-même.
– Nous voyons ! Mais tout cela ne met point de foin dans nos bottes, marmonna Bourdeau dont l’impatience croissait au fur et à mesure du dialogue et du récit.
– Il fallait bien dresser le tableau ! Pour le reste, j’ai obtenu par de nombreuses questions posées à bon escient aux cochers et aux valets des précisions qui m’ont conduit à d’intéressantes découvertes. Lesquelles j’ai recoupées dans les relais de poste du chemin.
– Il était folâtre, le voici compendieux ! Au fait, au fait !
– Mais, monsieur l’inspecteur, si je vais au fait vous ne comprendrez rien et vous savez bien l’intérêt que Nicolas attache aux détails. Je reprends donc. Tiburce, le valet de M. de Chamberlin, avait accompagné le cortège dans une voiture séparée appartenant à son maître. Au premier relais, il constate un essieu rompu, je le dis avec un clin d’œil. Ne voulant pas abandonner la voiture il laisse partir la famille, déclarant qu’il la rejoindrait le lendemain. Mais à peine a-t-elle le dos tourné qu’il en profite pour louer un cabriolet et rejoindre Paris.
– Bon. Premier point qui recoupe nos propres constatations.
– On ne le reverra pas, et pour cause ! Quant au fils Ravillois, il avait la veille annoncé son intention de se rendre chez sa fiancée Yvonne de Malairie, à des lieues de là. Il disparaît lui aussi à ce même relais et ne fait retour que sur la route de Sézanne. J’ai enquêté sur cette équipée. Il n’a été vu chez sa promise qu’au petit matin. Il aurait déferré et sa monture blessée aurait été incapable de poursuivre. Il m’a affirmé avoir passé la nuit dans une ferme.
– Les essieux se brisent, les montures perdent le fer et deviennent bancroches. Quelle suite de circonstances et de coïncidences !
Nicolas paraissait perplexe.
– Je n’aime point ces recoupures-là. Quelle était la robe de cette monture ?
– Blanche. Je l’ai vue dans les écuries du château des Malairie. À Sézanne il avait un hongre isabelle.
– Cela ne signifie rien…, murmura le commissaire se parlant à lui-même. Ensuite ?
– Il me fallait voir les choses de plus près. Avec l’aide de ma coquine, j’ai pu pénétrer dans le lieu et fouiller en détail les appartements du château de
famille. Je profitai des soupers pour le faire. Je ne trouvai rien qui nous fût utile, quand…
– Tu découvris quelque chose !
– Point si vite ! Un soir, alors que je lutinais ma belle dans les écuries, mon attention fut attirée par la selle et les sacoches d’Armand de Ravillois. Ah ! Du meilleur cuir. Au luxe de ses accessoires, on voit bien une famille de qualité ! Pris de je ne sais quelle curiosité, je m’approchai et fouillai les dites sacoches. Soigneusement dissimulés sous des chiffons tassés, je tombai sur deux papiers que voici et sur un petit vase.
Sorti de son habit, il le brandit triomphalement et tendit deux plis froissés que Nicolas ouvrit avec fièvre.
– Alors, dit Bourdeau, c’est ce que nous cherchons ?
– Point, hélas ! Il s’agit du dernier testament de feu M. de Chamberlin et du double du document désignant M. Patay, son ami, comme exécuteur testamentaire. Quant au vase c’est le céladon manquant.
– Rien qui nous puisse aider !
– Si fait ! Le nom de
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