L'honneur de Sartine
Bastille et au secret.
Gremillon lia derechef les poings du prisonnier et le prenant aux épaules le poussa vers la porte.
– Voilà une affaire rondement menée, dit Bourdeau.
– Reste que le document demeure introuvable et tant qu’il le sera, la menace pèsera de le voir resurgir.
XII
Rabouine
« Si vous croyez savoir, vous ne savez pas. »
Lao-Tseu
Il était fort tard et pourtant la conversation allait bon train à l’hôtel de Noblecourt. Catherine s’affairait autour du maître de maison, de Nicolas, Bourdeau et Naganda. Semacgus était rentré à Vaugirard, non que l’envie ne le tenaillât de les accompagner, mais la pensée d’Awa seule, sans doute inquiète de son absence si tardive, l’avait emporté.
Les invités s’étant fait longtemps attendre, le couvert avait été, par exception, dressé dans l’office. Ainsi M. de Noblecourt aurait-il pu se coucher si la veille s’était par trop prolongée. À la demande de Nicolas, Pluton avait été gratifié d’un énorme os à moelle afin de récompenser la part qu’il avait prise au succès du jour. Les craquements du festin se faisaient entendre de dessous la table. Catherine, les poings sur les hanches, vitupérait les goujats tant attendus, de l’espèce de ceux,
disait-elle, qui font tourner les sauces et brûler les rôts.
– Allons, dit Bourdeau, au lieu d’assoter son monde, madame Catherine ferait mieux de nous dire de quoi elle entend nous régaler.
– De radis que Boitevin a fait pousser dans notre botager.
– Oui-da ! De la croquille pour lapins ! Tu nous veux affamer !
– Quel animal ! Attends, bour voir. Et dire que je m’échine pour ce gosier-là !
– Alors, ma bonne Catherine, dit Nicolas la prenant par la taille et lui donnant un baiser, quoi de plus et de bon ?
– Ah, lui, il sait me brendre ! Je consens donc à répondre. Sachant que vous seriez en retard comme de juste et que j’aurais le temps…
– Oh ! La vilaine qui avoue sa mauvaise foi !
– Paix ! Salivez ! Vous goûterez ce soir une boularde roulée aux crêtes. Belle bête, mortifiée à raison, que j’ai lardée bellement.
– Point de mon poulailler, j’espère, dit Noblecourt. Je ne mange jamais les volailles qui m’ont été présentées.
On rit beaucoup et l’on remplit les verres vides d’une coulée d’un flacon de vin de Jasnières qui attendait dans son rafraîchissoir.
– Je l’ai désossée et farzie des blancs d’une de ses sœurs mêlés de lard et d’un peu de porc. À tout cela, j’ai ajouté mie de bain trempée dans la crème, épices à l’ordinaire et six œufs, les jaunes seulement, pour lier le tout. J’ai amoureusement couché cette ponne farze sur chaque moitié de la bête que j’avais fendue en deux, et puis roulé le tout dans une vieille cravate d’étamine fine de monsieur après l’avoir
enveloppé de bardes, sans trop serrer car la viande gonfle en cuisson…
– Comment ! Ma cravate pour barder votre poulaillière momie ! On me le conterait que je ne le croirais pas !
– Elle n’avait plus l’usage. Je l’ai ficelée, la boularde, comme une andouille.
– Point du tout, jeta Bourdeau, vous vous mésestimez, génie des potagers !
Il reçut un coup de torchon magistralement asséné.
– La prochaine fois le goutelas. Une bonne braise a barachevé la chose que de ce bas je vais vous servir avec un ragoût de crêtes.
– Tout nu ?
– Point. Avec des champignons et des truffes et lié d’un coulis de veau. Vous ne le méritez pas !
– Revenons à notre affaire et examinons la cause. Vous voici avoir fait le tour du cercle, il vous faut maintenant pénétrer au cœur de la cible, dit Noblecourt dodelinant du chef. Vos affaires sont liées les unes aux autres par un seul élément, ce fameux document détenu par feu M. de Chamberlin. Reste que rien, sauf de fortes présomptions, ne prouve la véracité d’un éventuel meurtre et que, pour Tiburce, aucune piste ne conduit à la précédente affaire.
– C’est pourquoi le retour de Rabouine nous tarde tant. Ce sont les informations qu’il nous apportera qui permettront, je l’espère, un rebond fécond dans un sens ou dans un autre.
– C’est bégaiement d’essayer d’en dire plus long, la matière nous manque.
Le vieux magistrat secoua la tête.
– Peuh ! C’est souvent le vide qui appelle le plein et il n’est rien qui ne se règle par l’usage de l’inac
tion. Laissez
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