L'honneur de Sartine
pouvait voir ?
– Vous m’embrouillez. La chambre était obscure…
– Soit. Est-ce à dire que s’il avait été absent ou… mort, des tentations auraient pu vous effleurer ?
– Peut-être… Voyez, je ne vous dissimule rien. Je suis criblé de dettes… Cette situation aurait pu justifier… Mais ce ne fut pas le cas.
Nicolas regarda Bourdeau. Ils pensaient tous les deux la même chose de cet aveu. Soit le prévenu faisait preuve d’une étonnante franchise ou bien cette apparence de candeur n’était que fallace pour leur donner le change et ancrer dans leur esprit la certitude de sa sincérité.
– Je vous prie, monsieur, de tenir votre botte droite.
– Comment ! Et pour quelle raison ?
– La raison que je vous le commande. L’inspecteur va vous aider.
Armand de Ravillois s’assit sur un escabeau, le dos à la muraille. Il leva la jambe. Bourdeau saisit le pied de la botte et après quelques efforts la tira. Nicolas, qui avait sorti l’empreinte recueillie dans la chambre de Tiburce, la compara. Elle était identique.
– Que signifie ? demanda le jeune homme.
– C’est un élément qui fonde de graves présomptions sur la réalité de votre présence sur le lieu d’un assassinat.
– Quel assassinat ? Il y a peu vous me parliez de mon grand-oncle. Je connais les questions que vous avez posées à ma famille sur les causes de sa mort. Et sachez que le bon goût implique de ne point porter de bottes au souper.
Sa bouche se crispa dans une moue dédaigneuse.
– Le vieux bois vermoulu du lit qui s’effondre, ajouta-t-il. Ah ! Le bel assassin que voilà.
– Vous vous égarez. Il ne s’agit pas de M. de Chamberlin, mais de son valet, Tiburce Mauras, assassiné aux Porcherons.
Si la surprise du jeune Ravillois était jouée, elle touchait à la perfection.
– Tiburce ? Comment est-ce possible ?
– Cela vous étonne ? Vous peine ?
– Certainement pas. Je méprisais le bonhomme. C’est à tort que mon grand-oncle le tenait en haute estime. S’il avait su…
– Nous vous écoutons. Quels faits nourrissent chez vous une telle animosité ? Vous n’êtes point
pourtant du genre à porter les yeux sur le domestique.
– À condition qu’un valet ne se mêle pas de mes affaires.
– Car Tiburce s’intéressait aux vôtres ?
– S’il n’avait fait que cela !
– Alors vous allez nous conter vos déboires avec lui par le menu. Je vous y engage.
– Au point où j’en suis… En un mot, je joue, je perds plus souvent que je ne gagne et j’ai des dettes. Je ne sais comment, Tiburce a appris mes difficultés et, bon apôtre, m’a proposé son aide. Il faut croire qu’il dispose du superflu. Bref, il m’a prêté des sommes importantes et m’a fait signer des billets dont les délais allaient venir à expiration.
– Et que vous vous trouviez dans l’impossibilité d’honorer ?
– Et pour cause ! C’est la raison pour laquelle je me suis rendu chez ma fiancée. Au petit matin…
– Pourquoi si tard ?
– Ma seconde monture a déferré, de trois fers. Ce qui n’est pas banal, le maréchal l’a remarqué. Donc, j’ai dormi sur place, car il faisait nuit.
– Qui s’est occupé du cheval frais au relais ?
– Un domestique… Tiburce, je suppose. Mon grand-oncle mort, il demeurait néanmoins au service de la famille. C’est en tout cas lui qui m’a tenu la bride.
– Le nom de l’endroit où vous avez passé la nuit ?
– Croyez-vous donc que j’y ai pris garde ?
– Voilà qui est des plus commode, ma foi !
– C’est pourtant la vérité. Au petit matin, je me suis jeté aux pieds du père d’Yvonne pour le supplier, en vain rassurez-vous, de venir à mon aide et de m’avancer les sommes dues. Sinon les billets
allaient être jetés au public, mes dettes dénoncées et notre nom déshonoré.
– Que ne l’avez-vous demandé à votre père ?
– En vérité, il est ruiné et il n’attendait que la mort de mon grand-oncle et l’héritage dont ma mère devrait bénéficier pour la dépouiller. Cela, et la dot de ma future épouse, car il était entendu que j’en distrairais une part pour aider mon père à rétablir ses affaires.
– Avez-vous lu le testament de votre grand-oncle ?
– Non, comment aurais-je pu le faire ?
– On l’a trouvé dans votre sacoche.
– Je m’échine à vous prétendre le contraire ! Il était de notoriété que ma mère, adorée par son oncle,
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