L'honneur de Sartine
l’héritier.
– Qui est ?
– Charles de Ravillois, le fils cadet et le petit-neveu préféré de M. de Chamberlin.
– Que nous apporte cette information, selon toi ?
– Elle nous interroge. Pour quelles raisons M. de Chamberlin a-t-il modifié ses dernières volontés et privé sa nièce du bénéfice de son héritage ? Il faudra trouver une réponse à cette question-là.
– Et ?
– Cette modification, si soudainement suivie par son trépas, en a-t-elle été la cause ?
– Bon. Et que fis-tu ensuite ?
Rabouine prit un air faraud.
– Je l’ai arrêté et ramené à Paris. J’ai usé du blanc-seing que tu m’avais confié. Armand de Ravillois est ici dans une cellule aux bons soins du père Marie qui l’a recommandé au geôlier pour les précautions d’usage.
L’image d’un vieux soldat de Fontenoy jadis trouvé pendu dans sa cellule passa comme un fantôme.
– Alors, qu’attendons-nous pour le faire monter ?
Pensif, Nicolas regarda Rabouine sortir du bureau. Il l’avait connu fort jeune à son arrivée à Paris. Ce monde était par trop injuste qui laissait un enquêteur de cette qualité végéter en tant que mouche. Ses talents eussent mérité un autre sort. L’exemple de Gremillon lui revint en mémoire. Leur situation était pourtant très différente. Il se promit d’y réfléchir et de prendre conseil auprès de Bourdeau.
Armand Bougard de Ravillois entra. Son arrestation et la cellule du Châtelet n’avaient en rien abattu la morgue du jeune homme. Cheveux châtain tirant sur le blond, les traits fins et le teint pâle, il se tenait droit devant les policiers, les mains serrant le revers de sa redingote de piqué vert amande. Nicolas jeta un regard circonspect sur les hautes bottes de cavalier que le jeune homme tendait ostensiblement aux regards.
– Monsieur, nous n’avions pas eu l’occasion de nous rencontrer aux Porcherons, je suis…
– Je sais qui vous êtes, on m’a prévenu. J’exige de voir mon père. Il pourrait vous en cuire.
– Je doute, jeune homme, que vous soyez en mesure d’exiger quoi que ce soit et d’user de cette
hauteur de ton. Vous êtes arrêté et au secret. De moi seul, commissaire du roi aux affaires extraordinaires, dépendra votre sort. Vous ne sortirez de ce cachot que coupable ou innocent.
– Mais à la fin, de quoi suis-je accusé ?
– Nous commencerons par un interrogatoire des plus précis. Je vous invite, si vous êtes de bonne foi, à y répondre avec la plus grande sincérité et l’exactitude la plus pourpensée.
– Et si je refuse ?
– L’innocent que vous prétendez être ne saurait s’en tenir à cette attitude. Nous avons tout le temps. Vous demeurerez emprisonné aux conditions les plus rigoureuses tant que persistera votre silence.
Il paraissait que le jeune Ravillois accusait le coup des propos de Nicolas.
– Monsieur, vous souvenez-vous de la soirée durant laquelle votre grand-oncle est mort ?
– Certes.
– Il y avait grand souper auquel était convié M. de Besenval. À un moment il a souhaité qu’on lui présente des vases céladons de grand prix auxquels il s’intéressait. Votre père, M. de Ravillois, vous a prié de monter dans la chambre de M. de Chamberlin pour les prendre. À quelle heure ?
– Il m’est impossible de le préciser. Après dix heures peut-être ?
– Sauriez-vous être plus précis ?
– Non ! C’est le cadet de mes soucis de consulter l’heure à tout moment.
– C’est regrettable pour vous. Vous êtes donc entré dans la chambre. Comment avez-vous trouvé votre grand-oncle ?
– Il paraissait somnoler. Je n’ai pas souhaité le déranger… D’autant plus…
– Que ?
– Que nos relations n’ont jamais été affectionnées et qu’il ne cessait de me reprocher ce qu’il nommait mon inconduite.
– Les courtines du lit étaient-elles tirées ?
– Je crois.
– Alors comment avez-vous constaté qu’il dormait ?
– Je l’ai sans doute supposé.
– Supposé ? Et pourquoi n’avoir descendu qu’un seul des vases céladons ?
– Que sais-je ? J’avais sans doute peur de les briser si je m’embarrassais des deux.
Nicolas lui montra le céladon.
– Est-ce celui-ci ?
– Il lui ressemble.
– Vous n’avez rien dérobé, enfin, je veux dire, pris autre chose dans cette chambre ?
– Rien ! Que vouliez-vous que je prenne sous le regard du vieillard ?
– Ainsi il vous
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