L'honneur de Sartine
parallèles aux pièces d’apparat.
M. Bougard de Ravillois portait beau. Il était vêtu d’un habit gris, gilet noir et bas blancs, la chevelure soigneusement frisée et poudrée. Un peu de carmin aux pommettes rehaussait un visage blême, aux traits délicats et à l’abord sévère. Restait que les rides autour des yeux et d’autres, plus amères autour d’une bouche mince, tempéraient l’impression de jeunesse. Elles étaient éloquentes pour Nicolas qui aimait scruter les visages afin d’y lire ce que la vie n’avait cessé d’y inscrire. Collectionneur d’âmes, les visages pour lui en étaient les reflets. Les premières impressions, même s’il s’efforçait d’en diminuer l’empire, lui enseignaient beaucoup. L’homme, autour de la cinquantaine, était de ceux qui ne pouvaient plus s’exonérer le jour des stigmates de la nuit. Son élégance, le soin porté à sa tenue, cette attitude redressée qui ne lui faisait perdre aucun pouce de hauteur, tout concourait à ne point se fier à l’image de lui-même que souhaitait imposer M. de Ravillois. Sa main droite, torturant les breloques de sa montre, démentait son impassibilité affichée. Il toisa Bourdeau, jeta un œil sans aménité sur Gévigland, fixa Nicolas et s’assit dans une bergère jonquille. Il croisa les jambes et ses mains étreignirent fortement les accoudoirs.
– Messieurs, si j’en crois la manière péremptoire dont M. de Gévigland nous a quittés après avoir constaté le décès de mon oncle, vous…
– Par alliance, je crois ? dit Nicolas.
– Si le terme ajoute à la chose et vous convient, oui, monsieur, par alliance. Monsieur ?
– Nicolas Le Floch, commissaire de police au Châtelet.
– Tiens ! La police aurait-elle donc à voir avec ce deuil familial ? Quel conte vous a rapporté M. de Gévigland que sa longue familiarité avec cette famille aurait dû incliner à plus de discrétion ?
– Y aurait-il des choses à dissimuler ?
– Vous vous méprenez sur mes propos. Je serais aise, monsieur, que vous m’indiquiez les raisons de votre visite ?
– Oh ! Bien normale et habituelle dans ces circonstances. Que voulez-vous ! C’est le tribut des familles engagées dans les affaires du roi.
M. de Ravillois releva la tête et l’agita de droite à gauche comme s’il niait ce qui venait d’être avancé.
– M. de Chamberlin, oncle de votre épouse, n’a-t-il pas longtemps occupé des fonctions importantes dont d’ailleurs il n’était pas déchargé, détenteur de son office ?
– Certes ! Cela est notoire. Mais je ne vois pas ce qui justifie une démarche aussi extraordinaire que celle que vous imposez ?
– Justement, monsieur, justement. Extraordinaire, vous avez mis le doigt dessus. Car c’est bien d’extraordinaire qu’il s’agit !
Les jambes se décroisèrent et l’on s’agita.
– Je suis au désespoir, monsieur, d’avoir à vous rappeler que M. de Chamberlin est contrôleur général de la Marine, des galères, fortifications et réparations des ports, havres et places maritimes, et des colonies françaises dans l’Amérique. Même si son état ne lui permettait plus d’exercer, il demeurait en fonction d’une charge sans survivance.
– Je sais tout cela mieux que quiconque, monsieur le commissaire, mais je n’entends toujours pas le lien qui existe entre l’état de mon oncle, sa mort et votre présence.
– Oh ! Rien d’autre que le souci des deniers royaux. Les documents et liasses que détenait votre oncle sont propriétés de la Couronne. Nul doute qu’ils renferment des pièces particulières qui doivent faire retour dans les archives de Sa Majesté. J’ai donc mission d’en examiner le détail et de retirer des papiers de votre oncle par alliance, ceux qui me paraîtraient appartenir à la catégorie en cause.
– Et pour cela vous avez besoin d’affidés, de comparses ?
Du regard il mesurait Bourdeau de bas en haut.
– Monsieur est mon adjoint, qui me prêtera son aide.
– Et M. de Gévigland ?
– M. de Gévigland ? Il a été désigné par le lieutenant général de police comme témoin de la perquisition. Il n’a en effet nul intérêt direct ou personnel.
Il prenait sur lui cette entorse nécessaire à la vérité. Ravillois ferma les yeux et soupira. Ces précisions lui paraissaient-elles incongrues ?
– Je constate, monsieur le commissaire, que vous avez réponse à tout.
– Pouvait-on
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