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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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simplement dit, avec héroïque entêtement, que tout n’était pas perdu. Qu’un télescope aussi puissant, il y en avait un autre, fixé sur l’Observatoire Maltais. Il ne restait plus qu’à aller le chercher sur l’île.
    — Mais comment ? avait dit Roberto.
    — Avec la natatione.
    — Mais vous avez dit que vous ne savez pas nager, ni ne pourriez, à votre âge…
    — Moi non. Toi si.
    — Mais moi non plus je ne la sais pas, cette maudite natatione !
    — Apprends. »

24.
    Dialogues sur les Principaux Systèmes
    Ce qui suit est de nature incertaine : je n’arrive pas à comprendre s’il s’agit des chroniques de dialogues qui se sont déroulés entre Roberto et le père Caspar, ou de notes que le premier prenait de nuit pour renvoyer la balle de jour au second. Quoi qu’il en soit, il est évident que, pendant toute la période où il était resté à bord avec le vieux, Roberto n’avait pas écrit de lettres à la Dame. De même que, peu à peu, de la vie nocturne il passait à la vie diurne.
    Par exemple, jusqu’alors il avait regardé l’Île de grand matin, et pendant de très courts laps de temps, ou bien le soir, lorsque l’on perdait le sentiment des limites et des lointains. À présent seulement il découvrait le flux et le reflux, autrement dit le jeu alternatif des marées, qui, durant une partie du jour, amenait les eaux jusqu’à lécher la bande de sable les séparant de la forêt, et durant l’autre les faisait se retirer et mettre à découvert une zone rocheuse qui, expliquait le père Caspar, était le dernier contrefort de la barbacane de corail.
    Entre le flux, ou l’afflux, et le reflux, lui expliquait son compagnon, il se passe environ six heures, et c’est là le rythme de la respiration marine sous l’influence de la Lune. Et non comme le voulaient certains dans les temps passés, qui attribuaient ce mouvement des eaux au halètement d’un monstre des abysses, pour ne rien dire de ce monsieur français lequel affirmait que, même si la terre ne bouge pas d’ouest en est, toutefois elle tangue, pour ainsi dire, du nord au sud et vice versa, et dans ce mouvement périodique il est naturel que la mer s’élève et s’abaisse, tel qui hausse les épaules, et sa soutane monte et descend sur son cou.
    Mystérieux problème, celui des marées, car elles changent selon les terres et les mers et la position des côtes par rapport aux méridiens. Comme règle générale, pendant la nouvelle lune on a les hautes eaux à midi et à minuit, mais ensuite, jour après jour, le phénomène retarde de quatre cinquièmes d’heure, et l’ignare qui ne le sait pas, voyant qu’à telle heure de tel jour un certain canal était navigable, s’y aventure à la même heure du jour suivant, et il finit sur un bas-fond. Sans parler des courants que les marées suscitent, et certains sont tels qu’au moment du reflux un navire ne parvient plus à atterrir.
    Et puis, disait le vieux, pour chaque endroit que l’on trouve, un calcul différent est nécessaire, et il faut les Tables Astronomiques. Il chercha même d’expliquer ces comptes à Roberto, c’est-à-dire que l’on doit observer le retard de la lune en multipliant les jours de la lune par quatre et en divisant par cinq, ou bien le contraire. Le fait est que Roberto ne comprit rien, et nous verrons plus tard comment cette légèreté lui deviendrait cause de graves ennuis. Il se limitait uniquement à s’étonner chaque fois que la ligne du méridien, qui aurait dû parcourir l’île d’un bout à l’autre, tantôt passait par la mer, tantôt sur les rochers, et il ne se rendait jamais compte quand c’était le bon moment. D’autant que, qu’il y eût flux ou reflux, le grand mystère des marées lui importait beaucoup moins que le grand mystère de cette ligne au-delà de laquelle le Temps revenait en arrière.
    Nous avons dit qu’il n’avait pas une particulière propension à ne pas croire à ce que le jésuite lui racontait. Mais souvent il s’amusait à le provoquer, pour lui en faire dire davantage encore, et il recourait donc à tout le répertoire d’argumentations qu’il avait entendu dans les cénacles de ces honnêtes hommes que le jésuite réputait, sinon des émissaires de Satan, du moins des gros ivrognes et des grosses crapules qui avaient fait de la taverne leur Lycée. En définitive, pourtant, il lui était difficile de refuser la physique d’un maître qui, sur la base des principes

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