L'Ile du jour d'avant
maintenant à poursuivre l’immersion jusqu’au moment où, toujours s’agrippant à l’échelle, il avait laissé l’eau lui arriver au menton. Croyant que c’était cela nager, il s’était délecté en s’abandonnant au souvenir des aises parisiennes.
Depuis qu’il était arrivé sur le navire, il avait fait, nous l’avons vu, quelques ablutions, mais comme un petit chat qui de sa langue se lécherait le poil, ne prenant soin que de son visage et de ses pudenda. Pour le reste – et de plus en plus au fur et à mesure qu’il se mettait dans une colère noire en chassant l’intrus – ses pieds s’étaient tartinés de la lie du fond de cale et la sueur lui avait collé ses habits au corps. Au contact de cette douce tiédeur qui lavait à la fois ses membres et ses vêtements, Roberto se rappelait ce qu’il avait découvert au palais Rambouillet, bien deux baignoires à la disposition de la marquise, dont les soucis pour le soin de son corps faisaient l’objet de conversations dans une société où se laver n’était point chose fréquente. Même les plus raffinés d’entre ses hôtes jugeaient que la propreté consistait dans la fraîcheur de la lingerie, que c’était un trait d’élégance que d’en changer souvent, et non pas dans l’usage de l’eau. Et les nombreuses essences odorantes, dont la marquise les étourdissait, n’étaient pas un luxe, au contraire – pour elle – une nécessité, afin de placer une défense entre ses narines sensibles et leurs grasses senteurs.
Se sentant plus gentilhomme qu’il ne l’était à Paris, tandis que d’une main il se cramponnait à l’échelle, de l’autre Roberto frottait chemise et pantalon contre son corps crasseux, se grattant cependant un talon avec les doigts de l’autre pied.
Le père Caspar suivait l’opération, intrigué, mais se taisait, voulant que Roberto se liât d’amitié avec la mer. Toutefois, craignant que l’âme de Roberto ne s’égarât par excessive attention pour le corps, il tendait à la distraire. Il lui parlait donc des marées et des vertus attractives de la lune.
Il cherchait à lui faire apprécier un événement qui avait en soi de l’incroyable : si les marées répondent à l’appel de la lune, elles devraient avoir lieu quand la lune est là, et non pas quand elle se trouve de l’autre côté de notre planète. En revanche, flux et reflux continuent de part et d’autre du globe, en une poursuite de six heures en six heures, ou presque. Roberto tendait l’oreille au discours des marées, et il songeait à la lune, à laquelle, pendant toutes ces nuits passées, il avait pensé plus qu’aux marées.
Il avait demandé pourquoi donc nous voyons, de la lune, toujours une et une seule face, et le père Caspar avait expliqué qu’elle tourne telle une boule retenue à un fil par un athlète qui la fait tournoyer, et celui-ci ne peut rien voir d’autre que le côté qui est vers lui.
— Mais, l’avait défié Roberto, cette face, les Indiens aussi bien que les Espagnols la voient ; par contre, sur la lune il n’en va pas ainsi par rapport à leur lune, que certains nomment Volve, qui est notre terre. Les Subvolviens, qui habitent sur la face tournée vers nous, la voient toujours, tandis que les Privolviens, qui habitent dans l’autre hémisphère, l’ignorent. Imaginez quand ils se déplaceront de ce côté-ci : qui sait ce qu’ils éprouveront à voir resplendir dans la nuit un cercle quinze fois plus grand que notre lune ! Ils s’attendront qu’il leur tombe dessus d’un moment à l’autre, comme les anciens Gaulois qui tremblaient toujours que le ciel ne leur tombât sur la tête ! Sans vouloir parler de ceux qui habitent juste à la frontière des deux hémisphères, et qui voient Volve toujours sur le point de se lever à l’horizon !
Le jésuite avait fait montre d’ironie et de jactance quant à cette fable, à dormir debout, des habitants de la lune, parce que les corps célestes ne sont pas de la même nature que la terre, et ils ne sont donc pas propres à héberger des créatures vivantes, raison pour quoi il valait mieux les laisser aux cohortes angéliques, lesquelles se pouvaient mouvoir spirituellement dans le cristal des ciels.
— Mais comment pourraient-ils être, ces ciels de cristal ? S’il en était ainsi les comètes en les traversant les briseraient.
— Mais qui a dit à toi que les comètes passaient dans les régions éthérées ? Les
Weitere Kostenlose Bücher