L'Ile du jour d'avant
pourtant, si au parterre il y avait un homme de l’art, il serait capable de deviner comment on a obtenu d’un oiseau mécanique qu’il prît soudain son envol. Ainsi devrait faire le philosophe devant le spectacle de l’univers. Certes, la difficulté pour le philosophe est plus grande car dans la nature les cordes des machines sont si bien cachées qu’à la longue on s’est demandé qui les tirait. Et pourtant, même dans ce théâtre à nous, si Phaéton monte vers le soleil c’est parce qu’il est halé par quelques cordes et qu’un contrepoids va vers le bas.
Ergo (triomphait à la fin Roberto, retrouvant la raison pour laquelle il avait commencé à divaguer de cette manière), la scène nous montre le soleil qui tourne, mais la nature de la machine est bien différente, et nous ne pouvons pas nous en apercevoir de prime abord. Nous voyons le spectacle, mais pas la poulie qui fait se mouvoir Phébus car plus précisément nous vivons sur la roue de cette poulie – et là Roberto se perdait, parce que s’il acceptait la métaphore de la poulie il abandonnait celle du théâtre, et tout son raisonnement devenait si pointu, comme aurait dit Saint-Savin, qu’il s’émoussait de toute pointe.
Le père Caspar avait répondu que l’homme, pour faire chanter une machine, devait façonner bois ou métal, et disposer des trous, ou régler des cordes et les frotter avec des archets, ou même – ainsi qu’il l’avait fait sur la Daphne – inventer un mécanisme à eau, alors que si nous ouvrons la gorge d’un rossignol nous n’y voyons aucune machine de ce type, signe que Dieu suit des voies différentes des nôtres.
Ensuite il avait demandé, puisque Roberto voyait d’un si bon œil d’infinis systèmes solaires qui tournaient dans le ciel, s’il ne pourrait pas admettre que chacun de ces systèmes soit une partie d’un système plus grand qui tourne à son tour encore à l’intérieur d’un système plus grand encore, et ainsi de suite, vu que, en partant de ces prémisses, on devenait comme une vierge victime d’un séducteur, qui lui fait d’abord une petite concession et bien vite devra lui accorder davantage, et puis davantage encore, et sur cette voie on ne sait jusqu’à quelle extrémité on peut arriver.
Certes, avait dit Roberto, on peut tout imaginer. Des tourbillons sans planètes, des tourbillons qui se heurtent les uns les autres, des tourbillons qui ne seraient pas ronds mais hexagonaux, si bien que sur chacune de leur face ou côté s’encastre un autre tourbillon, tous ensemble se composant comme les alvéoles d’une ruche, ou encore qui seraient des polygones lesquels, s’appuyant les uns aux autres, laisseraient des vides que la nature remplit avec d’autres tourbillons mineurs, tous s’engrenant entre eux comme les pignons des horloges, leur ensemble se mouvant dans le ciel tout entier telle une grande roue qui tourne et alimente à l’intérieur d’autres roues qui tournent, chacune avec des roues mineures qui tournent en leur sein, et tout ce grand cercle parcourant dans le ciel une révolution immense qui dure des millénaires, peut-être autour d’un autre tourbillon des tourbillons des tourbillons… Et là Roberto risquait de se noyer, à cause du grand vertige qui le prenait alors.
Et ce fut à ce moment que le père Caspar eut son triomphe. Or donc, expliqua-t-il, si la terre tourne autour du soleil, mais que le soleil tourne autour de quelque chose d’autre (et en négligeant de considérer que ce quelque chose d’autre tourne encore autour de quelque chose encore davantage d’autre), nous avons le problème de la roulette, dont Roberto aurait dû entendre parler à Paris, étant donné que de Paris il était arrivé en Italie parmi les galiléiens, qui n’en manquaient vraiment pas une si c’était pour désordonner le monde.
— Qu’est-ce que la roulette ? demanda Roberto.
— Tu la peux appeler aussi trochoïde ou cycloïde, mais cela ne change guère. Imagine toi une roue.
— Celle d’avant ?
— Non, à présent tu imagines la roue d’un char. Et imagine toi que sur le cercle de cette roue il y a un clou. À présent imagine que la roue immobile est, et le clou juste au-dessus du soi. À présent tu penses que le char va et la roue tourne. Qu’est-ce que tu penses qu’il arriverait à ce clou ?
— Eh bien, si la roue tourne, à un moment donné le clou sera en haut, mais ensuite quand la roue a fait tout son tour il se
Weitere Kostenlose Bücher