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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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était vraiment un cône sans pointe, fermé en haut et ouvert à la base, ou si l’on veut, justement, une manière de cloche. Sur ses pans, entre le cercle supérieur et le médian, s’ouvrait une petite fenêtre de verre. Sur le toit de la cloche avait été fixé un anneau robuste.
    À ce moment-là, l’engin fut déplacé vers le cabestan et accroché à un bras qui, par un astucieux système de poulies, permettrait de le soulever, de l’abaisser, de le déplacer hors la muraille, de le descendre ou de le hisser, comme il advient pour toute balle, caisse ou paquet que l’on chargerait ou déchargerait d’un navire.
    Le cabestan était un peu rouillé après des jours d’inanition, mais à la fin Roberto parvint à l’actionner et à hisser la cloche à mi-hauteur, si bien qu’on en pouvait apercevoir les entrailles.
    Cette cloche maintenant n’attendait plus qu’un passager qui s’y glissât et s’y embarquât, de façon à pendiller dans l’air tel un battant.
    Un homme de n’importe quelle stature y pouvait entrer : il suffisait de régler les sangles en relâchant ou resserrant ardillons et nœuds. Or donc, une fois bien harnaché, l’habitant de la cloche pourrait marcher en emmenant son habitacle se promener, et les lanières faisaient en sorte que sa tête demeurât à la hauteur de la fenêtre et que le bord inférieur lui arrivât plus ou moins au mollet.
    À présent Roberto n’avait plus qu’à se figurer, expliquait triomphant le père Caspar, ce qui se passerait quand le cabestan aurait fait descendre la cloche dans la mer.
    « Il se passera que le passager se noiera », avait conclu Roberto, comme eût fait n’importe qui. Et le père Caspar l’avait accusé de savoir fort peu de « l’équilibre des liqueurs ».
    « Tu peux sans doute penser que le vide quelque part existe, comme disent ces atours de la Synagogue de Satan avec lesquels tu parlais à Paris. Pourtant, tu admettras sans doute que dans la cloche il n’y a pas le vide, mais l’air. Et quand toi une cloche pleine d’air dans l’eau descends, l’eau n’entre pas. Ou lui ou l’air. »
    C’était vrai, admettait Roberto. Et donc, pour haute que fut la mer, l’homme pouvait marcher sans que l’eau y entrât, du moins tant que le passager avec sa respiration n’avait pas consommé tout l’air, le changeant en vapeur (comme on le voit quand on souffle sur un miroir) laquelle, étant moins dense que l’eau, à celle-ci céderait enfin la place, preuve définitive, commentait triomphalement le père Caspar, que la nature a horreur du vide. Mais avec une cloche de ce volume, le passager pouvait compter, d’après les calculs du père Caspar, sur au moins une trentaine de minutes de respiration. Le rivage paraissait très loin, pour l’atteindre à la nage, mais en marchant ce serait une promenade car, presque à mi-chemin entre le navire et le rivage, débutait la barbacane de corail, à telle enseigne que la barque n’avait pas pu prendre cette route mais avait dû faire le tour le plus long au-delà du promontoire. Et à certains endroits les coraux étaient à fleur d’eau. Si l’on avait commencé l’expédition en période de reflux, le chemin à parcourir sous l’eau en serait encore raccourci. Il suffisait d’arriver à ces terres émergées, et à peine le passager monterait, fût-ce d’une demi-jambe, au-dessus de la surface, la cloche s’emplirait de nouveau d’air frais.
    Mais comment marcherait-on sur le fond marin, qui devait être hérissé de dangers, et comment monterait-on sur la barbacane qui était faite de cailloux pointus et de coraux plus coupants que des cailloux ? En outre, comment descendrait-on la cloche sans la renverser dans l’eau, ou sans qu’elle soit repoussée vers le haut pour les mêmes raisons qui font qu’un homme plongeant remonte à la surface ?
    Le père Caspar, avec un sourire matois, ajoutait que Roberto avait oublié l’objection la plus importante : qu’à pousser à la mer la seule cloche pleine d’eau, se déplacerait une quantité d’eau égale à sa masse, et cette eau aurait un poids bien plus grand que le corps qui cherchait à la pénétrer, auquel par conséquent elle opposerait beaucoup de résistance. Mais dans la cloche il y aurait en plus pas mal de livres d’homme, et puis les Cothurnes Métalliques. Et, avec l’air de qui avait pensé à tout, il allait extraire de l’inépuisable soute une paire de bottines aux semelles de

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