L'Ile du jour d'avant
lui, à cette hypothèse des vortex, il ne croyait pas du tout et jugeait plutôt que les mondes infinis étaient l’effet d’un tourbillon d’atomes dans le vide, et que cela n’excluait aucunement qu’il y eût une Divinité providentielle qui donnait des ordres à ces atomes et les organisait de manière à seconder ses décrets, comme lui avait enseigné le Prévôt de Digne. Pourtant le père Caspar se refusait même à cette idée qui requérait un vide où les atomes circuleraient, et Roberto ne désirait plus discuter avec une Parque si généreuse que, au lieu de couper la corde qui le maintenait en vie, elle l’allongeait excessivement.
Sur la promesse de n’être plus menacé de mort, il avait repris ses essais. Le père Caspar le persuadait maintenant de s’essayer à bouger dans l’eau, ce qui est le principe indispensable de tout art de la natation, et il lui suggérait de lents mouvements des mains et des jambes, mais Roberto préférait paresser à la surface.
Le père Caspar le laissait paresser, et il en profitait pour lui débiter ses autres arguments contre le mouvement de la terre. In primis, l’Argument du Soleil. Lequel, s’il était immobile, et que nous à midi tapant nous le regardions du centre d’une chambre à travers la fenêtre, et que la terre tournât avec la vitesse que l’on dit – et il en faut une bien grande pour faire un tour complet en vingt-quatre heures – disparaîtrait en un instant de notre vue.
Venait ensuite l’Argument de la Grêle. Elle tombe parfois pendant une heure entière mais, que les nuages aillent au levant ou au ponant, au septentrion ou au midi, elle ne couvre jamais plus de vingt-quatre ou trente milles la campagne. Mais si la terre tournait, que les nuées de la grêle étaient portées par le vent au contraire de son cours, il faudrait qu’il grêlât au moins sur trois cents ou quatre cents milles de campagne.
Suivait l’Argument des Nuages Blancs, qui vont par les airs quand le temps est tranquille, et paraissent toujours aller avec la même lenteur ; alors que, si la terre tournait, ceux qui vont vers le ponant devraient avancer à une immense vitesse.
On concluait avec l’Argument des Animaux Terrestres lesquels, par instinct, devraient toujours se diriger vers l’Orient, pour accompagner le mouvement de la terre qui les régit ; et ils devraient montrer une grande aversion pour se déplacer vers l’Occident car ils sentiraient que c’est là un mouvement contre nature.
Pendant un certain laps de temps, Roberto acceptait tous ces arguments, et puis il les prenait en grippe et opposait à toute cette science son Argument du Désir.
— Mais enfin, lui disait-il, ne m’ôtez pas la joie de penser que je pourrais m’élever à tire-d’aile et voir en vingt-quatre heures la terre rouler au-dessous de moi, et je verrais passer tant de visages différents, blancs, noirs, jaunes, olivâtres, avec un chapeau ou avec un turban, et des villes avec des clochers tantôt pointus tantôt ronds, avec la croix et avec le croissant, et des villes aux tours de porcelaine et des pays de cabanes, et les Iroquois sur le point de manger tout cru un prisonnier de guerre et des femmes de la terre de Tesso occupées à se peindre les lèvres de bleu pour les hommes les plus laids de la planète, et celles de Camul que leurs maris accordent en cadeau au premier venu, comme raconte le livre de Messire Millione…
— Vois-tu ? Comme je dis : quand vous à votre philosophie dans la taverne pensez, toujours ce sont des pensées de lasciveté ! Et si tu n’aurais pas eu ces pensées, ce voyage tu pouvais faire si Dieu te donnait la grâce de tourner toi autour de la terre, qui n’était pas grâce moindre que te laisser suspendu dans le ciel.
Roberto n’était pas convaincu, mais il ne savait plus que rétorquer. Alors il prenait le chemin le plus long, partant d’autres arguments connus par ouï-dire, qui également ne lui semblaient pas du tout en contraste avec l’idée d’un Dieu providentiel, et il demandait à Caspar s’il était d’accord pour voir dans la nature un théâtre grandiose, où nous n’embrassons du regard que ce que l’auteur a mis en scène. De notre place nous ne voyons pas le théâtre tel qu’il est réellement : les décorations et les machines ont été prédisposées pour faire un bel effet de loin, tandis que les roues et les contrepoids qui produisent les mouvements ont été muchés à notre vue. Et
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