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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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s’était pourtant trompé quand il était sûr que son bassin aurait fonctionné. En fin de compte ce bon Caspar s’est révélé être un songe-creux, et toute cette histoire des eaux du Déluge, et du méridien, et de l’île de Salomon n’est sans doute qu’une accumulation de fables. Et puis, même s’il avait raison en ce qui concerne l’Île, il pourrait avoir mal calculé la quantité d’air dont un homme a besoin. Enfin, qui me dit que toutes ces huiles, ces essences, ont réellement bouché chaque fente ? Peut-être en ce moment précis l’intérieur de la cloche ressemble-t-il à une de ces grottes où sourd de l’eau de toute part, peut-être la peau entière transpire-t-elle comme une éponge, n’est-il pas vrai peut-être que notre peau est tout un tamis de pores imperceptibles, et qui pourtant existent si par eux filtre la sueur ? Et si cela se passe avec la peau d’un homme, peut-il en aller de même avec la peau d’un bœuf ? Ou bien les bœufs ne transpirent-ils pas ? Et lorsqu’il pleut, un bœuf se sent-il aussi trempé jusqu’aux os ?
    Roberto se tordait les mains, il maudissait sa hâte. C’était clair, lui croyait que des heures étaient passées, en revanche il ne s’était écoulé que quelques pulsations de poignet. Il se dit que lui n’avait point de raisons de trembler, que bien plus en aurait eu le courageux vieillard. Peut-être devait-il plutôt, lui, seconder son voyage avec la prière, ou du moins avec l’espérance et le vœu.
    Et puis, se disait-il, j’ai imaginé trop de raisons de tragédie et c’est le propre des mélancoliques que d’engendrer des spectres avec quoi la réalité est incapable de rivaliser. Le père Caspar connaît les lois hydrostatiques, il a déjà sondé cette mer, il a étudié le Déluge, même à travers les fossiles qui peuplent toutes les mers. Du calme, il suffit que je comprenne que le temps passé est minime, et que je sache attendre.
    Il s’apercevait qu’il aimait, désormais, celui qui avait été l’intrus, et qu’il pleurait déjà, à la seule pensée qu’il pût lui être arrivé un malheur. Allons, vieux, murmurait-il, reviens, renais, ressuscite, pardieu, que nous tordrons le col de la poule la plus grasse, tu ne voudrais tout de même pas laisser seul ton Observatoire Maltais ?
    Et à l’improviste il se rendit compte que l’on ne voyait plus les récifs proches du rivage, signe que la mer avait commencé à se soulever ; et le soleil, qu’il percevait avant sans devoir relever la tête, était à présent juste au-dessus de lui. À partir du moment où la cloche avait disparu, il s’était déjà écoulé non pas des minutes mais des heures.
    Il dut se répéter cette vérité à voix haute, pour la trouver croyable. Il avait compté pour des secondes ce qui était des minutes, il s’était persuadé lui-même qu’il avait une horloge folle dans la poitrine, aux battements précipités, et au contraire son horloge intérieure avait ralenti la marche. Depuis Dieu sait combien de temps, se disant que le père Caspar venait à peine de descendre, il attendait une créature à laquelle l’air avait désormais manqué depuis longtemps. Depuis Dieu sait combien de temps il attendait un corps qui gisait sans vie sur quelque point de cette étendue.
    Que pouvait-il s’être passé ? Tout, tout ce qu’il avait pensé, et que peut-être avec sa malchanceuse peur il avait fait arriver, lui le porteur de mauvaise fortune. Les principes hydrostatiques du père Caspar pouvaient être illusoires, l’eau dans une cloche entre peut-être précisément par le bas, surtout si celui qui est à l’intérieur fait sortir l’air à coups de pied, qu’en savait-il au vrai, Roberto, de l’équilibre des liquides ? Ou peut-être le choc avait-il été trop vif, la cloche s’était renversée. Ou le père Caspar avait achoppé à mi-chemin. Ou il avait perdu sa route. Ou son cœur plus que septuagénaire, inférieur à son zèle, avait cédé. Et enfin, qui dit qu’à cette profondeur le poids de l’eau de la mer ne peut écraser le cuir comme on presse un citron ou écosse une fève ?
    Mais s’il était mort, son cadavre n’aurait-il pas dû remonter à la surface ? Non, il était ancré aux semelles de fer d’où ses pauvres jambes ne seraient sorties que lorsque l’action conjuguée des eaux et de myriades de petits poissons goulus l’aurait réduit à un squelette…

    Et puis, tout à coup, il eut une

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