L'Ile du jour d'avant
prière. À l’aube, ils recontrôlèrent la cloche, les lacets, les crochets. Caspar attendit le bon moment, où il pouvait exploiter au mieux le reflux et où toutefois le soleil était déjà suffisamment haut pour qu’il éclairât la mer devant lui, jetant toute ombre dans son dos. Puis ils s’embrassèrent.
Le père Caspar répéta qu’il s’agirait d’une plaisante entreprise où il verrait des choses stupéfiantes que pas même Adam ni Noé n’avaient connues, et il craignait de commettre le péché d’orgueil, fier comme il était d’être le premier homme à descendre dans le monde marin.
« Pourtant, ajoutait-il, c’est là aussi une prueve de mortificatione : si Notre Seigneur sur les eaux marché a, moi dessous marcherai, ainsi qu’à un pécheur il convient. »
Il ne restait plus qu’à soulever de nouveau la cloche, la placer sur le père Caspar, et vérifier si celui-ci était capable de se mouvoir à son aise.
Pendant quelques minutes Roberto assista au spectacle d’un énorme escargot, mais non, d’une vesse-de-loup, un agaric migratoire, qui évoluait à pas lents et patauds, souvent s’arrêtant et accomplissant un demi-tour sur lui-même quand le père voulait regarder à droite ou à gauche. Plus qu’à une marche, ce capuchon déambulant paraissait absorbé par une gavotte, par une bourrée que l’absence de musique rendait encore plus disgracieuse.
Enfin le père Caspar eut l’air satisfait de ses essais et, d’une voix qui semblait sortir de ses chaussures, il dit que l’on pouvait y aller.
Il se transporta près du cabestan, Roberto raccrocha, se mit à pousser le cabestan et vérifia une fois de plus que, la cloche soulevée, les pieds dodelinaient et que le vieux ne glissait pas en bas ou la cloche ne se dérobait pas en haut. Le père Caspar claquait et tonnait que tout allait pour le mieux, mais qu’il fallait se hâter : « Ces cothurnes me tirent les jambes et me les arrachent presque du ventre ! Vite, mets-moi en l’eau ! »
Roberto avait encore crié quelques phrases d’encouragement, et descendu lentement le véhicule avec son moteur humain. Ce qui ne fut pas entreprise facile, parce qu’il faisait tout seul le travail de nombreux matelots. Cette descente lui parut éternelle, comme si la mer s’abaissait au fur et à mesure qu’il multipliait ses efforts. Mais à la fin il entendit un bruit sur l’eau, il sentit que son effort décroissait, et quelques instants après (qui furent pour lui des années) il s’aperçut que le cabestan tournait désormais à vide. La cloche avait touché. Il coupa la corde, puis se jeta à la muraille pour regarder en bas. Et il ne vit rien.
Du père Caspar et de la cloche, il ne restait aucune trace.
« Quels cerveaux, ces jésuites, se dit Roberto ébloui, il a réussi ! Pense un peu, là en bas il y a un jésuite qui marche, et personne ne pourrait le deviner. Les vallées de tous les océans pourraient être peuplées de jésuites, et personne ne le saurait ! »
Ensuite, il passa à des pensées plus prudentes. Que le père Caspar fût en bas, c’était invisiblement évident. Mais qu’il revînt en haut, ce n’était pas encore dit.
Il eut l’impression que l’eau s’agitait. La journée avait été choisie précisément parce qu’elle était sereine ; toutefois, alors qu’ils accomplissaient les ultimes opérations, un vent s’était levé qui à cette hauteur ne ridait qu’un peu la surface, mais créait sur le rivage de ces jeux de vagues pouvant, sur les rochers maintenant émergés, perturber le débarquement.
Vers la pointe nord, où se dressait une paroi presque plate et à pic, il apercevait des giclées d’écume qui allaient gifler la roche, se dispersant dans l’air comme autant de nonnettes blanches. C’était certes l’effet de vagues qui heurtaient le long d’une formation récifale qu’il ne parvenait pas à voir, mais du navire on eût dit qu’un serpent soufflait des abysses ces flammes de cristal.
La plage paraissait cependant plus tranquille, le moutonnement ne se situait qu’à mi-chemin, et cela était bon signe pour Roberto : il indiquait le lieu où la barbacane dépassait de l’eau et marquait la limite au-delà de quoi le père Caspar ne courrait plus de danger.
Où était-il à présent, le vieux ? S’il s’était mis en marche sitôt après avoir touché, il devrait avoir déjà parcouru… Mais combien de temps était passé ? Roberto avait
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