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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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saisit, lui déverse tant de poison qu’en un instant elle meurt, pis que l’élaps qui, armé de quatre dents venimeuses, corrompt la chair qu’il mord, pis que la couleuvre d’Esculape qui se lance des arbres et étrangle sa victime, pis que la coronelle qui vomit son poison dans les fontaines, pis que le basilic qui occit de son regard ! Mégère infernale, qui ne connais ni Ciel ni terre ni sexe ni foi, monstre né d’une pierre, d’une alpe, d’un chêne ! »
    Puis il s’arrêtait, se rendait compte à nouveau qu’elle se donnait à Ferrante en le prenant pour Roberto, et qu’elle devait être, par conséquent, non damnée mais sauvée de ce guet-apens :
    « Attention, mon amour aimé, celui-là se présente à toi avec mon visage, sachant que tu n’aurais pu aimer un autre qui ne fut moi ! Que me faudra-t-il faire à présent, sinon me haïr moi-même afin de pouvoir le haïr lui ? Puis-je consentir à ce que tu sois trahie au moment que tu jouis de son étreinte et la crois mienne ? Moi qui déjà acceptais de vivre dans cette prison pour consacrer les jours et les nuits à la pensée de toi, pourrai-je à présent permettre que tu croies m’ensorceler en te faisant succube de son sortilège ? Oh Amour, Amour, Amour, ne m’as-tu pas puni assez, toi, n’est-ce pas là un mourir sans mourir ? »

30.
    De la Maladie d’Amour ou Melancholie Erotique
    Pendant deux jours Roberto fuit de nouveau la lumière. Dans ses sommeils, il ne voyait que des morts. Ses gencives et sa bouche s’étaient irritées. De ses entrailles les douleurs s’étaient propagées à la poitrine, puis au dos, et il vomissait des substances acides, bien qu’il n’eût pas pris de nourriture. L’atrabile, en mordant et attaquant tout le corps, y fermentait en bulles semblables à celles que l’eau expulse quand elle est soumise à une chaleur intense.
    Il était certainement tombé victime (et c’est à ne pas croire qu’il ne s’en aperçût qu’alors) de ce que tout le monde appelait la Melancholie Erotique. N’avait-il pas su expliquer ce soir-là chez Arthénice que l’image de la personne aimée suscite l’amour en s’insinuant comme un simulacre par l’orifice des yeux, portiers et espions de l’âme ? Mais, après, l’impression amoureuse se laisse lentement glisser par les veines et parvient au foie, provoquant la concupiscence, qui entraîne le corps entier à la sédition, s’en va tout droit conquérir la citadelle du cœur, d’où elle attaque les plus nobles puissances du cerveau et les rend esclaves.
    C’est-à-dire que ses victimes en perdent presque la raison, leurs sens s’égarent, leur intellect se trouble, l’imaginative en est dépravée, et le pauvre amoureux maigrit, se creuse, ses yeux s’enfoncent, il soupire et se dissout de jalousie.

    Comment en guérir ? Roberto croyait connaître le remède des remèdes, qui dans tous les cas lui était refusé : posséder la personne aimée. Il ne savait pas que cela ne suffisait pas, puisque les mélancoliques ne deviennent pas tels par amour, mais s’énamourent pour donner voix à leur mélancolie, chérissant les lieux sauvages afin d’être en esprit avec l’aimée absente et de songer seulement au moyen d’arriver jusqu’à elle ; mais, comme ils y parviennent, ils s’affligent encore davantage et voudraient tendre vers une autre fin encore.
    Roberto tentait de se rappeler tout ce qu’il avait entendu dire par des hommes de science qui avaient étudié la Melancholie Erotique. Il semblait qu’elle était causée par l’oisiveté, par le dormir sur le dos et par une excessive rétention de sperme. Et lui depuis trop de jours il était forcément dans l’oisiveté ; quant à la rétention de sperme, il évitait d’en chercher les causes ou d’en projeter les remèdes.
    Il avait entendu parler des parties de chasse comme stimulant à l’oubli ; il arrêta qu’il devait intensifier ses exploits natatoires, et sans se reposer sur le dos. Mais parmi les substances qui excitent les sens il y avait le sel, et du sel, en nageant, on en boit pas mal… En outre, il se rappelait avoir ouï que les Africains, exposés au soleil, étaient plus vicieux que les Hyper-boréens.
    Peut-être était-ce avec la nourriture qu’il avait appâté ses propensions saturniennes ? Les médecins interdisaient le gibier, le foie d’oie, les pistaches, les truffes ou le gingembre, mais ils ne disaient pas quels poissons étaient à

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