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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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trompé. Dans un état d’âme aussi incertain, il se sentait une fois de plus frustré.

    Pour un être comme Roberto, désormais arrivé au point de ne jouir jalousement que de ce qui lui était soustrait, peu s’en fallait qu’il ne rêvât que Ferrante au contraire avait eu ce qui lui avait été refusé à lui. Mais puisque Roberto était l’auteur de cette histoire et qu’il ne voulait pas trop concéder à Ferrante, il décida qu’il ne pourrait, lui, n’avoir commerce qu’avec l’autre colombeau » le bleu-vert. Et ce, parce que Roberto, sans nulle certitude, avait décidé de toute façon que, dans le couple, l’orangé devait être de sexe féminin, en somme Elle. Comme dans l’histoire de Ferrante, la colombe ne devait pas constituer le terme, mais bien le truchement d’une possession, pour le moment le mâle lui revenait.
    Un colombeau bleu-vert, qui vole seulement dans les mers du Sud, pouvait-il aller se poser sur le rebord de la fenêtre derrière laquelle Ferrante soupirait après sa liberté ? Oui, dans le Pays des Romans. Et puis, ne pouvait-elle pas, cette Tweede Daphne , être à peine revenue de ces mers, plus fortunée que sa sœur aînée, emportant dans le fond de cale l’oiseau qui s’était maintenant libéré ?
    En tout cas Ferrante, ignare quant aux Antipodes, ne risquait pas de se poser de tels problèmes. Il avait vu la colombe, d’abord l’avait nourrie avec quelques miettes de pain, par pur passe-temps, ensuite il s’était demandé s’il ne pouvait pas s’en servir pour ses fins. Il savait que ces oiseaux servent parfois à porter des messages : certes, confier un message à cet animal ne voulait pas dire l’envoyer à coup sûr où il aurait voulu, mais dans un si grand ennui il valait la peine de tenter.
    À qui pouvait-il demander de l’aide, puisque par inimitié avec tous, soi-même compris, il ne s’était fait que des ennemis, et les rares personnes l’ayant servi étaient des impudents disposés à le suivre uniquement dans la fortune, certes pas dans l’infortune ? Il s’était dit : je demanderai secours à la Dame, qui m’aime (« comment fait-il pour en être aussi sûr ? » s’interrogeait, envieux, Roberto, en inventant cette suffisance).
    Biscarat lui avait laissé le nécessaire pour écrire, au cas où la nuit lui aurait porté conseil et qu’il eût voulu envoyer une confession au Cardinal. Il avait par conséquent tracé sur un côté du papier l’adresse de la Dame, en ajoutant que la personne qui remettrait le message recevrait une récompense. Puis, sur l’autre face, il avait dit où il se trouvait (il avait entendu les geôliers prononcer un nom), victime d’un infâme complot du Cardinal, et invoqué sa sauvegarde. Après quoi il avait roulé le feuillet pour l’attacher à la patte de l’animal, qu’il incita à prendre son vol.
    Au vrai, ensuite il avait oublié, ou presque, ce geste. Comment pouvait-il avoir pensé que le bleu colombeau volerait précisément jusqu’à Lilia ? Ce sont des choses qui arrivent dans les fables, et Ferrante n’était pas homme à se fier aux fabliauteurs. Peut-être le colombeau avait-il été touché par un chasseur, chutant dans les branches d’un arbre et perdant le message…
    Ferrante ne savait pas qu’en revanche l’oiseau avait été pris dans la glu d’un paysan, qui avait pensé tirer parti de ce qui, à l’évidence, était un signal envoyé à quelqu’un, peut-être au commandant d’une armée.
    Or donc ce paysan avait porté le message à examiner à la seule personne de son village qui sût lire, le curé, et celui-ci avait tout organisé comme il faut. La Dame repérée, il lui avait envoyé un ami pour négocier la remise, en tirant une généreuse aumône destinée à son église et une dringuelle au paysan. Lilia avait lu, avait pleuré, s’était adressée à des amis sûrs pour des conseils. Toucher le cœur du Cardinal ? Rien de plus facile pour une belle dame de la cour, mais cette dame fréquentait le salon d’Arthénice, dont Mazarin se défiait. Déjà circulaient des vers satiriques sur le nouveau ministre, et on disait qu’ils provenaient de ces appartements. Une précieuse qui va chez le Cardinal demander pitié pour un ami condamne cet ami à une peine encore plus lourde.
    Non, il fallait rassembler une troupe d’hommes courageux et leur faire tenter un coup de main. Mais avec le recours de qui ?
    Ici Roberto ne savait pas comment poursuivre.

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