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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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Si lui-même avait été mousquetaire du Roi, ou cadet de Gascogne, Lilia eût pu s’adresser à ces valeureux, fort célèbres pour leur esprit de corps. Mais qui risque l’ire d’un ministre, du Roi peut-être, pour un étranger familier de bibliothécaires et d’astronomes ? Desquels, bibliothécaires et astronomes, mieux valait ne pas parler : pour décidé qu’il fût au roman, Roberto ne pouvait penser au Prévôt de Digne ou à monsieur Gaffarel galopant ventre à terre vers sa prison – c’est-à-dire vers celle de Ferrante qui, pour tout le monde désormais, était Roberto.

    Roberto avait eu une inspiration quelques jours plus tard. Laissant de côté l’histoire de Ferrante, il s’était remis à explorer la barbacane de corail. Ce jour-là, il suivait une cohorte de poissons affublés d’une salade jaune sur le museau, et on eût dit des guerriers voltigeants. Ils allaient s’introduire dans une fissure entre deux tours de pierre où les coraux étaient des palais délabrés d’une ville submergée.
    Roberto avait imaginé que ces poissons vaguaient au milieu des ruines de cette cité d’Ys dont il avait entendu parler, et qui s’étendrait encore à peu de milles de la côte de Bretagne, là où les ondes l’avaient recouverte. Voilà, le poisson le plus grand était l’ancien roi de la cité, suivi de ses dignitaires, et tous se chevauchaient eux-mêmes à la recherche de leur trésor englouti par la mer…
    Mais pourquoi repenser à une ancienne légende ? Pourquoi ne pas considérer les poissons comme des habitants d’un monde qui a ses forêts, ses pics, ses arbres et ses vallées, et ne sait rien du monde de la surface ? Sur un mode identique, nous vivons sans savoir que le creux du ciel cèle d’autres mondes, où les gens ne marchent ni ne nagent, mais volent ou naviguent par les airs ; si ce que nous appelons planètes sont les carènes de leurs navires dont nous voyons seulement le fond luisant, de même ces enfants de Neptune voient au-dessus d’eux l’ombre de nos galions, et ils les tiennent pour des corps éthérés qui parcourent leur firmament d’eau.
    Et s’il est possible qu’il existe des êtres qui vivent sous les eaux, alors il pourrait exister des êtres qui vivent sous la terre, des peuples de salamandres susceptibles d’atteindre à travers leurs galeries le feu central qui anime la planète ?
    Ainsi réfléchissant, Roberto s’était rappelé une argumentation de Saint-Savin : nous pensons qu’il est difficile de vivre à la surface de la lune car, croit-on, il n’y aurait pas d’eau, mais il y en a peut-être là-haut dans des cavités souterraines, et la nature aura creusé sur la lune des puits, qui sont les taches que nous voyons. Qui peut dire si les habitants de la lune ne trouvent pas asile dans ces niches pour échapper à la proximité insupportable du soleil ? Ne vivaient-ils donc pas sous la terre, les premiers chrétiens ? Et ainsi les Séléniens vivent-ils toujours dans des catacombes, qui leur paraissent à eux familières.
    Et il n’est pas dit qu’ils doivent vivre dans le noir. Peut-être y a-t-il de très nombreux trous sur la croûte du satellite, et l’intérieur reçoit-il la lumière par des milliers de soupiraux, c’est une nuit sillonnée de faisceaux de lumière, sans différence avec ce qui se passe dans une église, ou sur la Daphne dans le second-pont. Sinon, il existe en surface des pierres phosphoriques qui le jour s’imprègnent de la lumière du soleil et puis la restituent la nuit, et les Séléniens s’emparent de ces pierres à chaque couchant, de façon que leurs galeries soient toujours plus resplendissantes qu’un palais royal.
    Paris, avait pensé Roberto. Et ne sait-on pas peut-être que, telle Rome, la ville entière est percée de catacombes où, dit-on, se réfugient nuitamment les malfaiteurs et les gueux ?
    Les Gueux, voilà l’idée pour sauver Ferrante ! Les Gueux, dont on raconte qu’ils seraient gouvernés par un roi à eux et par un ensemble de lois implacables, les Gueux, une société de torves canailles qui vit de maléfices, larcins et scélératesses, agressions meurtrières et exorbitances, ordures, friponneries et infamies, tandis qu’elle feint de tirer profit de la chrétienne charité !
    Idée que seule une femme amoureuse pouvait concevoir ! Lilia – se racontait Roberto – n’est pas allée se confier à des gens de cour ou des nobles de robe, mais à la dernière

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