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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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soulagement à leurs teignes. Sans nul doute - disait Biscarat soucieux – c’étaient des misérables, un hétéroclite amas d’errants à l’aventure. Ou du moins ainsi parurent-ils encore un court moment, car le crépuscule était désormais tombé et la partie plane et les dunes devenues un seul gris grouillement de rats.
    — Aux armes, aux armes ! s’était écrié Biscarat, qui avait deviné maintenant qu’il ne s’agissait pas de pèlerinage ou de gueuserie, mais d’assaut. Et il avait ordonné de faire feu contre ceux qui déjà touchaient le mur. Mais c’était vraiment comme tirer sur une foule de rongeurs, ceux qui arrivaient poussaient de plus en plus ceux qui étaient arrivés, les morts furent foulés aux pieds, servirent d’appui à ceux qui pressaient derrière, et déjà l’on pouvait voir les premiers s’agripper de leurs mains aux lézardes de cette ancienne construction, enfiler leurs doigts dans les fissures, poser le pied dans les interstices, s’entortiller aux fers des premières croisées, insinuer leurs membres sciatiques dans les meurtrières. Et pendant ce temps une autre partie de cette engeance houleuse ondoyait à terre, donnant de l’épaule contre le portail.
    Biscarat avait ordonné de le barricader de l’intérieur, mais les poutrelles pourtant robustes de ces vantaux craquaient déjà sous la pression de cette bâtardouille.
    Les gardes continuaient à tirer, mais les rares assaillants qui tombaient étaient aussitôt enjambés par d’autres bandes, désormais on n’entrevoyait qu’un pullulement d’où, à un moment donné, commencèrent à monter comme des anguilles de corde lancées en l’air, et l’on se rendit compte qu’il s’agissait des grappins aux quatre fers, et que certains d’entre eux s’étaient déjà accrochés aux merlons. Et à peine un garde se penchait-il un peu pour dériver ces fers onglés, que ceux qui se trouvaient hissés en tête le frappaient avec des épieux et des bâtons, ou bien l’enveloppaient dans des lacs, le faisant chuter d’en haut, disparaître dans la presse de ces extrahideux endémenés, sans que l’on pût distinguer le râle de l’un du rugissement des autres.
    Bref, qui eût pu suivre l’événement du haut des dunes, celui-là n’aurait plus vu le fort, mais un fourmillement de mouches sur une charogne, un essaim d’abeilles sur un rayon de miel, une confrérie de bourdons.
    En même temps, d’en bas s’étaient fait entendre le bruit du portail qui s’abattait, et le remue-ménage dans la cour. Biscarat et ses gardes se portèrent à l’autre bout du donjon, sans plus s’occuper de Ferrante, tapi dans l’embrasure de la porte qui donnait sur les escaliers, point trop effrayé, déjà saisi du pressentiment que ces gens étaient en quelque sorte des amis.
    Lesdits amis avaient maintenant atteint et dépassé les murs crénelés, prodigues de leur vie ils tombaient face aux derniers coups de mousquet, insoucieux de leur poitrine ils franchissaient la barrière des épées tendues, terrorisant les gardes de leurs yeux immondes, de leurs visages distordus. Ainsi les gardes du Cardinal, d’habitude hommes de fer, abandonnaient leurs armes, du ciel implorant pitié pour ce qu’ils croyaient à présent une clique infernale, et ceux-là d’abord les terrassaient à coups de gourdin, puis ils se jetaient sur les survivants, flanquant mornifles et brise-maxillaires, poings-aux-gosiers et pognes-sur-tronches, ils égorgeaient de leurs dents, écartelaient de leurs serres, ils débordaient de violence en donnant libre cours à leur fiel, s’acharnaient sur les morts : certains, Ferrante les vit ouvrir une poitrine, s’emparer du cœur et le dévorer parmi de hauts cris.
    Restait Biscarat, l’unique rescapé, qui s’était battu comme un lion. Se voyant désormais vaincu, il s’était placé le dos au parapet, avait tracé de son épée ensanglantée une ligne sur le terrain et crié :
    — Icy mourra Biscarat, seul de ceux qui sont avec luy ! »
    Mais en cet instant un borgne à la jambe de bois, qui agitait une hache, avait émergé de l’escalier, fait un signe et mis fin à cette boucherie, ordonnant d’attacher Biscarat. Puis il avait aperçu Ferrante, le reconnaissant précisément à ce masque qui aurait dû le rendre méconnaissable, l’avait salué d’un ample geste de sa main armée, comme s’il voulait balayer le sol avec la plume d’un chapeau, et lui avait dit :

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