L'Ile du jour d'avant
retrouvais l’autre Judas sur le point de trahir et le pendais à un figuier, l’empêchant de livrer le Fils de l’Homme aux Fils des Ténèbres, pénétrais dans le Jardin des Oliviers avec mes féaux et enlevais Notre Seigneur, l’arrachant au Calvaire ! Et maintenant toi, moi, nous tous vivons dans un monde qui n’a jamais été racheté !
— Mais le Christ, le Christ, où est-il à présent ?
— Or donc tu ne sais que déjà les textes anciens disaient qu’il existe des Colombes rouge feu car le Seigneur, avant d’être crucifié, a endossé une tunique écarlate ? Tu n’as pas encore compris ? Depuis mille six cent dix années le Christ est prisonnier de l’Île, d’où il tente de s’enfuir sous les dehors d’une Colombe Couleur Orange, mais incapable d’abandonner ce lieu où, près de l’observatoire Maltais, j’ai laissé le scapulaire de Judas, et où il est donc toujours et seulement le même jour. À présent il ne me reste qu’à te tuer toi, et vivre libre dans un monde d’où est exclu le remords, l’enfer est sûr pour tous, et là-bas un jour je serai accueilli tel le nouveau Lucifer ! Et il avait dégainé un coutelas en s’approchant de Roberto pour accomplir le dernier de ses crimes.
— Non, avait crié Roberto, je ne te le permettrai pas ! C’est moi qui te tuerai toi, et je délivrerai le Christ. Je sais encore croiser le fer, alors qu’à toi mon père n’a pas appris ses coups secrets !
— J’ai eu un seul père et une seule mère, ton esprit fistuleux, avait dit Ferrante avec un triste sourire. Tu ne m’as appris qu’à haïr. Crois-tu m’avoir fait un grand don en me donnant vie seulement pour que dans ton Pays des Romans j’incarnasse le Suspect ? Tant que tu seras vivant, à penser de moi ce que moi-même j’en dois penser, je ne cesserai de me mépriser. Donc, que tu me tues toi ou que je te tue moi, la fin est la même. Allons.
— Pardon, ô mon frère, avait crié Roberto en pleurant. Oui, allons, il est juste que l’un de nous deux doive mourir !
Que voulait Roberto ? Mourir, délivrer Ferrante en le faisant mourir ? Empêcher Ferrante d’empêcher la Rédemption ? Nous ne le saurons jamais, car il ne le savait pas lui non plus. Mais ainsi sont faits les rêves.
Ils étaient montés sur le tillac, Roberto avait cherché son arme et l’avait retrouvée (comme nous nous en souviendrons) réduite à un tronçon ; mais il criait que Dieu lui donnerait force, et qu’un homme d’épée vaillant pourrait se battre fût-ce avec une lame brisée.
Les deux frères se faisaient face, pour la première fois, afin de commencer leur dernier combat.
Le ciel s’était décidé à seconder ce fratricide. Une nuée rougeâtre avait soudain étendu entre le navire et le ciel une ombre sanguine, comme si là-haut quelqu’un avait égorgé les chevaux du Soleil. Un grand concert de tonnerre et d’éclairs avait éclaté, suivi d’averses, et ciel et mer assourdissaient les duellistes, éblouissaient leurs yeux, cinglaient leurs mains d’eau glacée.
Mais les deux évoluaient au milieu des dards de la foudre qui leur pleuvaient autour, poussant bottes et flanconnades, reculant soudain, s’accrochant à une corde pour éviter presque en volant une estocade, se lançant des injures, rythmant chaque assaut d’un hurlement, dans les hurlements égaux du vent qui sifflait alentour.
Sur ce tillac glissant Roberto se battait afin que le Christ pût être mis en Croix, et demandait l’aide divine ; Ferrante pour que le Christ ne dût pas souffrir, et il invoquait le nom de tous les diables.
Ce fut en appelant, pour qu’il l’assistât, Astaroth que l’Intrus (désormais intrus même dans les plans de la Providence) s’offrit sans le vouloir au Coup de la Mouette. Ou peut-être ainsi voulait-il, pour mettre fin à ce songe sans queue ni tête.
Roberto avait fait semblant de tomber, l’autre s’était précipité pour l’achever, lui s’était appuyé sur sa main gauche et avait poussé l’épée tronquée vers sa poitrine. Il ne s’était pas relevé avec l’agilité de Saint-Savin, mais Ferrante avait désormais pris trop d’élan, et il n’avait pu éviter de s’embrocher, mieux de se défoncer le sternum sur le tronçon de la lame. Roberto avait été suffoqué par le sang que l’ennemi, en mourant, versait par la bouche.
Il sentait le goût du sang dans sa bouche, et probablement il s’était mordu la langue dans
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