L'Ile du jour d'avant
son délire. À présent il nageait dans ce sang, qui s’épandait du navire à l’Île ; il ne voulait pas aller de l’avant par crainte du Poisson Pierre, mais il n’avait terminé que la première partie de sa mission, le Christ attendait sur l’Île de verser Son sang, et il était resté son unique Messie.
Que faisait-il maintenant dans son rêve ? Avec la dague de Ferrante il s’était employé à réduire une voile en longues bandes, qu’il nouait ensuite entre elles en s’aidant des amarres ; au moyen d’autres cordes il avait capturé dans le second-pont les plus vigoureux d’entre les hérons, ou cigognes n’importe, et les attachait par les pattes comme coursiers de son tapis volant.
Avec son navire aérien, il s’était envolé vers la terre atteignable maintenant. Sous l’Observatoire Maltais, il avait retrouvé le scapulaire, et l’avait détruit. Ayant redonné espace au temps, il avait vu descendre sur lui la Colombe, qu’il découvrait enfin, extatique, dans toute sa gloire. Mais il était naturel – surnaturel, plutôt – qu’à présent elle lui parût non pas orange mais d’une blancheur immaculée. Ce ne pouvait être une colombe car il ne sied pas à cet oiseau de représenter la Deuxième Personne, c’était peut-être un Pieux Pélican, ainsi que doit l’être le Fils. Si bien qu’à la fin il ne voyait pas précisément quel oiseau s’était offert à lui en gentil perroquet pour ce vaisseau ailé.
Il savait seulement qu’il volait vers le haut, et les images se succédaient comme voulaient les matassins fantômes. Ils naviguaient maintenant au-devant de tous les mondes innombrables et infinis, dans chaque planète, dans chaque étoile, de façon que sur chacune, presque en un seul moment, s’accomplît la Rédemption.
La première planète qu’ils avaient touchée avait été la blanche lune, en une nuit éclairée par le midi de la terre. Et la terre était là, sur la ligne d’horizon, une énorme menaçante illimitée polenta de maiz, qui cuisait encore au ciel et quasiment lui tombait dessus en gargouillant de fiévreuse et fébricitante fébricule fébrifère subfébrilant fébrilement en bulles bouillantes dans leur bouillonnement, bouillottantes d’une ébullition bouillonnamenteuse, plopété plopété plop. C’est que lorsque vous avez la fièvre, c’est vous qui devenez polenta, et les lumières que vous voyez viennent toutes de l’ébullition de votre tête.
Et là, sur la lune avec la Colombe…
Nous n’aurons pas, j’espère, cherché cohérence et vraisemblance dans tout ce que j’ai rapporté jusqu’à présent, parce qu’il s’agissait du cauchemar d’un souffrant empoisonné par un Poisson Pierre. Mais ce que je m’apprête à relater dépasse toute attente. L’esprit ou le cœur de Roberto, ou en tout cas sa vis imaginativa , étaient en train d’ourdir une sacrilège métamorphose : sur la lune il se voyait maintenant non pas avec Notre Seigneur, mais avec Notre Dame, Lilia enfin reprise à Ferrante. Roberto obtenait près des lacs de Séléné ce que son frère lui avait pris parmi les étangs de l’île aux fontaines. Il lui baisait le visage de ses yeux, la contemplait de sa bouche, suçait, mordait et remordait, et elles badinaient dans leur manège les langues énamourées.
Alors seulement Roberto, dont sans doute la fièvre tombait, revint à lui, mais en restant attaché à ce qu’il avait vécu, comme il arrive après un rêve qui nous quitte, le corps, outre que l’âme, perturbé.
Il ne savait pas s’il devait pleurer de bonheur pour son amour retrouvé, ou de remords pour avoir retourné – avec la fièvre comme complice, qui ignore les Lois des Genres – son Epopée Sacrée en une Comédie Libertine.
Ce moment-là, se disait-il, me coûtera vraiment l’enfer, car je ne suis certes ni meilleur que Judas ni que Ferrante et même je ne suis autre que Ferrante, et n’ai rien fait d’autre jusqu’à présent que profiter de sa mauvaiseté pour rêver avoir fait ce que ma vilenie m’a toujours retenu de faire.
Peut-être ne serais-je jamais appelé à répondre de mon péché, parce que je n’ai pas péché moi, mais le Poisson Pierre qui me faisait rêver à sa façon. Pourtant, si je suis arrivé à pareille démence, c’est à coup sûr signe que je suis sans nul doute sur le point de mourir. Et j’ai dû attendre le Poisson Pierre pour me décider à penser à la mort, alors que cette pensée
Weitere Kostenlose Bücher