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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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d’Approche, la mesme dont s’est desja servi Aristote, et qui n’est ny tube ny lentille, mais Trame de Paroles, Idée Perspicace, car il n’est que le don de l’Artificiosa Eloquentia qui nous consente d’entendre cet Univers. »
    Ainsi parlant, le père Emanuele avait conduit Roberto hors de l’église et, tout en se promenant, ils étaient montés sur les glacis, dans un endroit tranquille cet après-midi-là, tandis que des coups de canon ouatés arrivaient du côté opposé de la ville. Ils avaient devant eux au loin les campements impériaux, mais sur de longs espaces les champs étaient vides de troupes et de charrois ; les prés et les collines resplendissaient au soleil quasi estival.
    — Que voy tu, mon fils ?
    Lui demanda le père Emanuele. Et Roberto, encore de peu d’éloquence :
    — Les prez.
    — Certes, un chascun est capable de vœir là-bas des Prez. Mais tu say bien que selon la position du Soleil, la couleur du Ciel, l’heure du jour & de la saison, ils te peuvent apparoitre sous des formes diverses t’inspirant divers Sentiments. Au vilain, qui n’en peut mais de fatigue, ils apparaissent comme des Prez, & rien aultre. Il arrive de mesme au pecheur sauvage espouvanté par quel qu’une de cestes nocturnes Images de Feu qui par foy dans le ciel apparoissent, & effrayent ; mais si tost que les Meteoristes, qui sont aussi des Poètes, osent les appeler Cometes Chevelues, Barbues & Fouettez, Beliers, Triangles, Boucliers, Flambeaux & Sagettes, ces figures du langage te rendent clair par quels Symboles piquants entendoit parler Nature, qui use de ces Images comme de Hiéroglyphes, les quels d’un costez renvoyent aux Signes du Zodiaque & de l’aultre a des Evenemens passez ou futurs. Et les Prez ? Voy combien tu peux dire des Prez, & comme en les disant tu en voye & en comprens tousjours davantage : souffle Zéphyr, la Terre s’ouvre, pleurent les Rossignols, se paonnent les Arbres à la chevelure feuillüe, & tu descouvres l’admirable tallent des Prez dans la varietez de leurs races d’Herbes allaittez par les Rus qui badinent d’enfance ravie. Les Prez en liesse tressaillent de facecieuse allégresse, a l’apparoitre du Soleil ils ouvrent leur visage & en eulx tu voy l’arc d’un sousrire & ils se rejouyssent pour le retour de l’Astre, ivres des baisers de l’Aultan, & le ris balle sur la Terre mesme qui s’ouvre a la mue Gayeté, & la tiedeur matutinale les faict tant pleins de Joye qu’ils s’epanchent en larmes de Rosée. Courosnez de Fleurs, les Prez s’abbandonnent à leur Geny & composent picquantes Hyperbolles d’Arcs en ciel. Mais bien tost leur Jeunesse say de se haster a la mort, leur ris se trouble d’une pasleur seubite, descolore le ciel & Zéphyr qui s’attarde desja souspire sur une Terre languissante, si que a l’arrivez des premiers courroux hivernaulx, les Prez despericent, & se squellettisent de Givre. Voyla mon fils : si tu avois simplement dict que les prez sont amenes, aultre n’aurois faict que m’en reppresenter le verdoiement – dont je say desja – mais si tu dy que les Prez rient tu me ferois veoir la terre comme un Homme Animez, & réciproquement j’apprendrois à observer dans les visages humains toutes les nuances que j’ay cueillies dans les prez… Et cela est office de la Figure sublime entre toutes, la Metaphore. Si le talens, et doncques le Sçavoir, consistent a relier des Notions eloignez et treuver des Ressemblances en des choses dissemblantes, la Metaphore, d’entre les Figures la plus aiguë et singulière, est la seule capable de produire Merveille, d’où nait le Plaisant, comme des changemens des scènes au theastre. Et si le Plaisant que nous apportent les Figures est celuy d’apprendre des choses nouvelles sans peine et moult choses en un petit volume, voyla que la Metaphore, transportant au vol nostre esprit d’un Genre à l’aultre, nous fay entre veoir en un seul Mot plus d’un Object.
    — Mais il faut sçavoir invanter des métaphores, et ce n’est point affaire pour un villageois comme moë, qui de sa vie dans les prez n’a faict que tirer les oysillons…
    — Tu es un Gentil Homme, et peu s’en feult que tu ne puisses devenir ce qu’a Paris on appelle un Honest’Homme, tant habile dans les lices verbales que dans les estocqueuses. Et sçavoir formuler des Metaphores, adoncques veoir le Monde immensement plus variez qu’il n’apparoit aux ignares, ce est Art qui s’apprend. Car si

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