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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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divertirait à faire de l’escrime avec Roberto. Ce jour-là s’était joint à eux un mousquetaire qui avait commencé à se mesurer avec un enseigne de la compagnie des cadets ; par jeu, bien sûr, et les escrimeurs faisaient très attention, mais à un moment donné le mousquetaire avait tenté de pousser sa botte avec trop de fougue, contraignant l’adversaire à réagir par un fendant, et il avait été blessé au bras, d’une assez vilaine façon.
    Aussitôt d’Igby l’avait bandé avec l’une de ses jarretières, pour tenir closes les veines, mais en l’espace de peu de jours la blessure menaçait de se gangrener, et le chirurgien disait qu’il fallait couper le bras.
    C’est à ce moment-là que d’Igby avait offert ses services, en avertissant cependant qu’on pourrait le prendre pour un charlatan, et les priant tous de lui faire confiance. Le mousquetaire, qui désormais ne savait plus à quel saint se vouer, avait répondu par un proverbe espagnol : «  Hâgase el milagro, y hàgalo Mahoma. »
    D’Igby lui demanda alors un morceau d’étoffe où il y eût du sang de la blessure, et le mousquetaire lui donna un linge qui l’avait protégé jusqu’au jour d’avant. D’Igby s’était fait porter un bassin d’eau et il y avait versé de la poudre de vitriol, qu’il fit promptement dissoudre. Puis il avait mis le linge dans le bassin. Soudain, le mousquetaire, qui, entre-temps, s’était distrait, avait tressailli et saisi son bras blessé ; et il avait dit que, d’un coup, la brûlure avait cessé, qu’il éprouvait au contraire une sensation de fraîcheur sur la plaie.
    — Bien, avait dit d’Igby, vous n’avez plus maintenant qu’à tenir la plaie nette en la lavant chaque jour à l’eau et au sel, en sorte qu’elle puisse recevoir le juste influx. Et j’exposerai ce bassin à la fenêtre pendant le jour et au coin de la cheminée pendant la nuit, de façon à le maintenir toujours à une chaleur modérée.
    Comme Roberto attribuait la soudaine amélioration à quelque autre cause, d’Igby, d’un sourire entendu, avait pris le morceau d’étoffe et l’avait fait sécher devant la cheminée ; dans l’instant le mousquetaire s’était remis à se plaindre, si bien qu’il fut nécessaire de mouiller à nouveau le linge dans la solution.
    La blessure du mousquetaire avait guéri en l’espace d’une semaine.
    Je crois qu’à une époque où les désinfections étaient sommaires, le seul fait de laver quotidiennement la blessure était déjà une cause suffisante de guérison, mais l’on ne peut blâmer Roberto s’il passa les jours suivants à questionner son ami sur cette cure qui lui rappelait d’abord l’exploit du carme, auquel il avait assisté dans son enfance. Sauf que le carme avait appliqué la poudre sur l’arme qui avait provoqué le dommage.
    — En effet, avait répondu d’Igby, la dispute sur l’unguentum armarium dure depuis beau temps, et c’est le grand Paracelse qui en avait parlé le premier. Beaucoup utilisent une pâte grasse, et jugent que son action s’exerce mieux sur l’arme. Mais, comme vous le comprenez, arme qui a frappé ou linge qui a bandé sont une seule et même chose, pour ce que la préparation se doit appliquer où il y a des traces de sang du blessé. Beaucoup, voyant que l’on traite l’arme pour soigner les effets du coup, ont pensé à une opération de magie, quand ma Poudre de Sympathie a ses fondements dans les opérations de la nature !
    — Pourquoi Poudre de Sympathie ?
    — Là aussi le nom pourrait induire en erreur. Beaucoup ont parlé d’une conformité ou sympathie qui lierait les choses entre elles. Agrippa dit que, pour susciter le pouvoir d’une étoile, il faudra se rapporter aux choses qui lui sont semblables et donc reçoivent son influence. Et il appelle sympathie cette attraction mutuelle des choses entre elles. Comme avec la poix, avec le soufre et avec l’huile on prépare le bois à recevoir la flamme, ainsi en employant des choses conformes à l’opération et à l’étoile, un bénéfice particulier rejaillit sur la matière justement disposée par le truchement de l’âme du monde. Pour influer sur le soleil, l’on devrait donc agir sur l’or, solaire par nature, et sur ces plantes qui se tournent vers le soleil ou qui replient ou ferment leurs feuilles au coucher du soleil pour les rouvrir à son lever, comme le lotus, la pivoine, la chélidoine. Ce ne sont là que sornettes,

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