De Gaulle Intime : Un Aide De Camp Raconte. Mémoires
Rencontrer le général de Gaulle
Novembre 1958. Capitaine de corvette embarqué comme adjudant de division sur l’escorteur d’escadre Duperré , ma chambre fait face à celle du pacha, de l’autre côté de la coursive. Je devine que mon commandant dialogue avec la direction du personnel.
Quelques instants après, il vient m’annoncer que je suis pressenti pour être aide de camp du général de Gaulle, dès qu’il assumera ses fonctions de président de la République, le 8 janvier prochain.
— Concertez-vous avec votre femme et rendez votre réponse demain matin, me dit-il. Sachez que vous n’êtes pas dans l’obligation d’accepter.
Bien que je ne me sois jamais porté volontaire pour servir un officier général de marine – je m’en suis toujours gardé, cultivant la formule « plutôt régner en enfer que de servir au ciel » –, cette fois le cas est différent.
Il s’agit de servir celui qui a été mon chef dans la France Libre, qui d’un vaincu avait fait de moi un vainqueur, cosignataire de la capitulation sans condition de l’Allemagne, le 8 mai 1945 à Berlin.
J’accepte la proposition flatteuse qui m’est faite. Je ne dirai pas d’enthousiasme, car j’ignore en quoi consisteront mes responsabilités et si je serai à la hauteur des circonstances. En outre, je ne connais ni Paris ni le monde politique.
Servir de Gaulle emporte tous mes doutes et réticences. Il me reste à être présenté pour être agréé ou pas.
À Matignon [1] , les deux aides de camp de l’époque, dont le colonel Bonneval, me font mariner deux journées entières dans l’antichambre attenante à leur bureau. Ce n’est qu’au soir du deuxième jour que Bonneval me « bascule » dans le bureau du dernier président du Conseil de la IV e République. J’ai eu tout le temps de passer en revue les questions qu’il pourrait me poser et de préparer mes réponses.
Je suis en civil, ayant pensé, à tort ou à raison, que le général de Gaulle ne serait pas fâché de juger de l’allure de son aide de camp en tenue bourgeoise, l’uniforme militaire lui étant bien connu. Le Général s’apprête à quitter son bureau, sa journée terminée, dans une attitude qui me deviendra par la suite familière : debout, la serviette à la main.
Au garde-à-vous, je me présente :
— Mes respects, mon général.
— Bonjour, Flohic. Quand nous sommes-nous rencontrés ?
— En avril de 1943, lors de votre inspection des corvettes à Grenock.
— C’est bon, on se reverra.
Quoiqu’il sût par la fiche qui lui avait été remise tout ce qui avait trait à ma carrière militaire, je m’attendais à ce qu’il m’interrogeât sur ma connaissance de l’Algérie, de la révolte sanglante des autochtones, sur mes sentiments à propos de l’engagement militaire de la France.
Cette affaire algérienne, ayant entraîné la faillite de la IV e République, a provoqué son retour aux affaires après une très longue traversée du désert de presque treize années, du 20 janvier 1946 au 1 er juin 1958, au point de lui avoir fait perdre l’espoir de jouer, de nouveau, un rôle dans la vie de la nation.
La brièveté de notre échange, comme la rapidité avec laquelle il m’a recruté, ne laissent pas de me surprendre… Peut-être aussi a-t-il recueilli le sentiment de son fils Philippe, qui a été mon camarade d’embarquement durant la guerre.
L’après-midi du 8 janvier 1959, après que le président Coty, son prédécesseur, lui a, dans la matinée, passé le pouvoir, le général Catroux, grand chancelier de la Légion d’honneur, lui remet le collier de grand maître de l’Ordre. Je suis dans le bureau contigu. C’est là que le général de Gaulle me précise mon affectation. Elle sera classique. Je serai pendant deux années un marin à terre, entre deux embarquements. À l’issue de mon affectation, je reprendrai ma carrière normale. Les circonstances feront que je demeurerai, une première fois, à son service jusqu’en novembre 1963, soit près de cinq ans, pour revenir en février 1965, jusqu’à sa démission en avril 1969.
Une fois à l’Élysée, il reste à nous habituer l’un à l’autre, étant entendu que c’est à moi de me couler dans mes fonctions, en respectant ses habitudes. Bonneval me les fit découvrir une à une, et je les répertoriai soigneusement. Bonneval, que nous appelons « la nounou du Général », est auprès de lui depuis son
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