L'Ile du jour d'avant
mission si difficile. Et puis le reste dépendra de vous. La grâce des grands, une fois acquise, il faut s’en montrer jaloux, pour ne pas la perdre, et la nourrir avec des services, pour la perpétuer : à ce moment-là, vous déciderez si votre loyauté envers la France est telle qu’elle vous conseillera de vouer votre futur à son Roi. On dit qu’il est arrivé à d’autres de naître ailleurs et de faire fortune à Paris.
Le cardinal se proposait comme modèle de loyauté primée. Mais pour Roberto il n’était certainement pas question de récompenses, à ce point-ci. Le cardinal lui avait fait entrevoir une aventure, de nouveaux horizons, et lui avait infusé une sagesse de vie dont l’ignorance, peut-être, lui avait jusqu’à présent ôté la considération d’autrui. Sans doute était-il bon d’accepter l’invitation du sort, qui l’éloignait de ses peines. Quant à l’autre invitation, celle de trois soirs plus tôt, dans son esprit tout s’était fait clair tandis que le cardinal commençait son discours. Si un Autre avait pris part à une conjuration, et que tous croyaient que c’était lui, un Autre avait sûrement conjuré pour inspirer à Elle la phrase qui l’avait torturé de joie, énamouré de jalousie. Trop d’Autres, entre lui et la réalité. Alors, mieux valait s’isoler sur les mers où il pourrait posséder l’aimée de l’unique façon qui lui était concédée. Enfin, la perfection de l’amour n’est pas d’être aimé, mais d’être Amant.
Il ploya un genou et dit : « Eminence, je vous appartiens. »
Ou du moins je le voudrais bien, vu qu’il ne me semble pas séant de lui faire donner un sauf-conduit qui débite : « C’est par mon ordre et pour le bien de l’État que le porteur du présent a fait ce qu’il a fait. »
18.
Curiosités Inouïes
Si la Daphne , comme l ’Amaryllis , avait été envoyée à la recherche du punto fijo , alors l’intrus était dangereux. Roberto savait maintenant la lutte sourde entre les États d’Europe pour s’emparer de ce secret. Il devait très bien se préparer et jouer d’astuce. Évidemment l’intrus avait agi au début de la nuit, puis il s’était déplacé à découvert lorsque Roberto avait commencé à veiller, même dans sa chambre, pendant le jour. Roberto devait-il donc bouleverser ses plans, lui donner l’impression de dormir le jour et veiller la nuit ? À quoi bon, l’autre changerait ses habitudes. Non, il devait plutôt lui empêcher toute prévision, le rendre incertain sur ses projets, lui faire croire qu’il dormait quand il veillait et dormir quand l’autre croyait qu’il veillait…
Il devrait chercher à imaginer ce que l’autre pensait qu’il pensait, ou ce qu’il pensait que lui pensait qu’il pensait… Jusqu’à ce moment, l’intrus avait été son ombre, maintenant Roberto devrait devenir l’ombre de l’intrus, apprendre à suivre les traces de celui qui marchait derrière les siennes. Mais ce guet-apens mutuel ne pourrait pas durer à l’infini, l’un se glissant le long d’une échelle tandis que l’autre descendait l’échelle opposée, l’un dans le fond de cale tandis que l’autre était aux aguets sur le tillac, l’autre de se précipiter dans le second-pont tandis que l’un remontait, pourquoi pas de l’extérieur, le long de la muraille ?
Toute personne sensée aurait aussitôt décidé de poursuivre l’exploration du reste du vaisseau, mais n’oublions pas que Roberto n’était plus sensé. Il avait de nouveau cédé à l’eau-de-vie, et il se persuadait qu’il le faisait afin de prendre des forces. Pour un homme à qui l’amour avait toujours inspiré l’attente, ce népenthès ne pouvait inspirer la décision. Il avançait donc au ralenti, se prenant pour la foudre. Il croyait faire un bond, et il allait à quatre pattes. D’autant qu’il ne s’enhardissait pas encore à sortir à découvert le jour, et il se sentait fort la nuit. Mais la nuit il avait bu et il agissait en paresseux. Ce que voulait son ennemi, se disait-il au matin. Et, pour se donner du cœur, il attaquait la cannelle.
Quoi qu’il en soit, vers le soir du cinquième jour il avait décidé de s’aventurer dans cette partie du fond de cale qu’il n’avait pas encore visitée, sous les Vivres. Il se rendait compte que sur la Daphne on avait exploité au maximum l’espace, et entre le second-pont et le fond de cale il avait été monté des cloisons et des faux
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