Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
Vom Netzwerk:
étages, afin d’obtenir des réduits reliés par des petites échelles branlantes ; et il était entré dans la fosse-à-lions, achoppant dans des rouleaux de cordes de toutes sortes, encore imprégnées d’eau de mer. Il avait continué sa descente et s’était trouvé dans la secunda carina , parmi des caisses et des ballots de tout genre.
    Il y avait trouvé d’autres nourritures et d’autres barils d’eau douce. Il devait s’en réjouir, mais il le fit seulement parce qu’il pourrait mener sa chasse à l’infini, avec le plaisir de la retarder. Qui est le plaisir de la peur.
    Derrière les barils d’eau, il en avait trouvé quatre autres d’eau-de-vie. Il était remonté dans le paillot et avait recontrôlé les tonnelets d’en haut. Ils étaient tous d’eau, signe que celui d’eau-de-vie qu’il y avait trouvé la veille avait été porté du bas en haut, dans le but de le tenter.
    Au lieu de s’inquiéter de l’embuscade, il était redescendu dans le fond de cale, avait remonté un autre tonnelet de liqueur, et encore bu.
    Ensuite, il était retourné dans le fond de cale, nous pouvons imaginer dans quel état, et il s’était arrêté en sentant l’odeur de la glume pourrie coulée dans la sentine. Plus bas on ne pouvait aller.
    Il devait donc revenir sur ses pas, vers la poupe, mais la lanterne claire s’éteignait presque et il avait buté sur quelque chose, comprenant qu’il avançait dans le lest, précisément là où sur l’Amaryllis le docteur Byrd avait obtenu un espace pour loger le chien.
    Mais précisément dans le fond de cale, entre des taches d’eau et des détritus des nourritures entassées, il avait aperçu l’empreinte d’un pied.
    Il était désormais si sûr qu’un Intrus se trouvait à bord que son unique pensée fut qu’il avait enfin obtenu la preuve : il n’était pas ivre, au fond la preuve que les ivrognes cherchent à chaque pas. En tout cas, c’était d’une évidence lumineuse, si l’on pouvait dire de cette façon d’avancer entre obscurité et reflets de lanterne. Sûr désormais que l’intrus se trouvait là, il ne pensa pas que, après tant de va-et-vient, l’empreinte il pouvait l’avoir laissée lui-même. Il remonta, décidé à livrer bataille.
    C’était le couchant. C’était le premier couchant qu’il voyait, après cinq jours de nuits, d’aubes et d’aurores. Quelques nuages noirs presque parallèles côtoyaient l’île la plus lointaine pour s’accumuler le long de la crête, et de là ils jaillissaient tels des traits de feu, vers le sud. La côte se détachait sombre sur la mer maintenant d’encre claire, quand le reste du ciel apparaissait d’une couleur camomille blafarde et épuisée, comme si le soleil ne célébrait pas là derrière son sacrifice mais plutôt s’assoupissait lentement et demandait au ciel et à la mer d’accompagner à mi-voix son coucher.
    Roberto eut au contraire un retour d’esprits guerriers. Il décida de confondre l’ennemi. Il alla dans le réduit des horloges et en transporta sur le tillac autant qu’il pouvait, les disposant comme les petits bonshommes d’un billard, une contre le grand mât, trois sur le gaillard d’arrière, une contre le cabestan, d’autres encore autour du mât de misaine, et une à chaque porte et écoutille, de sorte que si quelqu’un essayait d’y passer, dans le noir il donnerait dedans.
    Ensuite, il avait remonté les horloges mécaniques (sans considérer que ce faisant il les rendait perceptibles à l’ennemi qu’il voulait surprendre), retourné clepsydres et sabliers. Il contemplait le pont parsemé de machines du Temps, fier de leur bruit, sûr que celui-ci perturberait l’Ennemi et retarderait sa marche.
    Après avoir préparé ces inoffensifs traquenards, il en fut la première victime. Alors que la nuit tombait sur une mer d’huile, il allait de l’un à l’autre de ces moustiques de métal, pour en écouter la susurration de morte essence, pour fixer ces gouttes d’éternité fondant par stillation, pour appréhender cette meute de mites sans bouche vorages (c’est vraiment ce qu’il écrit), ces roues dentées qui lui déchiraient le jour en lambeaux d’instants et consumaient la vie en une musique de mort.
    Il se souvenait d’une phrase du père Emanuele, « quel Spectacle de gayeté si par un Cristal de la Poitrine pouvoient transparaisse les mouvemens du Cœur comme dans les Horologes ! » Il restait à suivre à la lumière des

Weitere Kostenlose Bücher