L'Ile du jour d'avant
étoiles le lent chapelet de grains d’arène murmuré par un sablier, et il philosophait sur ces faisceaux de moments, sur ces successives anatomies du temps, sur ces fissures d’où fil filant goutte le temps.
Mais du rythme du temps qui passe il tirait le présage de sa propre mort dont il allait à la rencontre, mouvement après mouvement, il approchait son œil myope pour déchiffrer ce logogriphe de fuites, d’un trope anxieux il changeait une machine à eau en un fluide cercueil, et à la fin il pestait contre ces coquins d’astrologues, capables de ne lui annoncer à l’avance que les heures déjà passées.
Et Dieu sait ce qu’il eût écrit encore s’il n’avait pas éprouvé le besoin d’abandonner ses mirabilia pœtica , comme d’abord il avait quitté ses mirabilia chronometrica – et non pas de sa propre volonté mais parce que, ayant dans les veines plus d’eau-de-vie que de vie, il avait permis que graduellement ce tic tac lui devînt une tussiculeuse berceuse.
Au matin du sixième jour, réveillé par les dernières machines encore haletantes, il vit, au milieu des horloges toutes déplacées, gratter deux petites grues (c’étaient des grues ?) qui, becquetant inquiètes, avaient renversé et brisé une clepsydre des plus belles.
L’Intrus, aucunement effrayé (de fait, pourquoi devait-il l’être, lui qui savait fort bien qui était à bord ?), bouffonnerie absurde pour absurde bouffonnerie, avait libéré du second-pont les deux animaux. Pour mettre sens dessus dessous mon vaisseau, pleurait Roberto, pour montrer qu’il est plus puissant que moi…
Mais pourquoi ces grues, se demandait-il, habitué à voir chaque événement comme signe et chaque signe comme devise ; qu’aura-t-il voulu signifier ? Il cherchait à se rappeler le sens symbolique des grues, pour autant qu’il se rappelait Picinelli ou Valerien, mais il ne trouvait pas de réponse. Or nous savons parfaitement qu’il n’y avait ni fin ni finesse cachée dans cette Ménagerie des Stupeurs, l’intrus désormais avait la tête à l’envers autant que lui ; mais Roberto ne pouvait le savoir, et il tentait de lire ce qui n’était rien d’autre qu’un gribouillis rageur.
Je t’attrape, je t’attrape maudit, avait-il crié. Et, encore somnolent, il s’était emparé de son épée et jeté de nouveau vers le fond de cale, dégringolant les échelons et finissant dans une zone encore inexplorée, au milieu de tas de fagots et de monceaux de rondins frais coupés. Mais en tombant, il avait heurté les troncs et roulant avec eux il se retrouva la face contre un treillis à respirer encore l’odeur écœurante de la sentine. Et il avait vu au fil de son œil se déplacer des scorpions.
Il était probable qu’avec le bois avaient été aussi arrimés des insectes, et je ne sais si c’étaient précisément des scorpions mais tels les vit Roberto, introduits naturellement par l’intrus afin qu’ils l’empoisonnassent. Pour fuir ce danger, il s’était mis à se hisser avec peine à l’échelle ; mais sur ces morceaux de bois il courait et restait sur place, plutôt perdait l’équilibre et devait s’agripper aux barreaux. Enfin il était remonté et s’était découvert une coupure à un bras. Et voilà que Roberto, au lieu de penser à sa blessure, retourne dans la fosse aux mâts, parmi les pièces de bois cherche fiévreusement son arme, qui était tachée de sang, la ramène dans le gaillard et verse de l’eau-de-vie sur la lame. Ensuite, n’en tirant aucun secours, il désavoue tous les principes de la science et verse la liqueur sur son bras. Il invoque quelques saints avec trop de familiarité, court dehors où a commencé une grande averse, sous laquelle les grues disparaissent en vol. La belle ondée le secoue : il s’inquiète pour ses horloges, se précipite çà et là pour les mettre à l’abri, se fait encore mal à un pied qui s’enfile dans une grille, regagne le couvert sur une seule jambe comme les grues, se dévêt et, pour toute réaction à ces événements insensés, il s’emploie à écrire tandis que la pluie d’abord se fait plus dense, puis se calme, reviennent quelques heures de soleil et tombe enfin la nuit.
Tant mieux pour nous s’il écrit, ainsi serons-nous en mesure de comprendre ce qui lui était arrivé et ce qu’il avait découvert au cours de son voyage sur l’Amaryllis.
19.
L’Art Nautique Rayonnant
L’ Amaryllis était partie de Hollande et
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