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L’impératrice lève le masque

L’impératrice lève le masque

Titel: L’impératrice lève le masque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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regardé mes photographies.
    Il désigna une grande table contre le mur du fond. Là où se trouvaient autrefois des gravures représentant des vues de la Sérénissime, il y avait maintenant des piles de photographies.
    — J’avais des clients et Son Altesse a absolument tenu à attendre son tour.
    — Depuis quand vendez-vous cela ? s’étonna Tron.
    Jusqu’alors, il n’avait pas remarqué les deux photographies coloriées accrochées au-dessus de la grande table : sur la première, on voyait une jeune pêcheuse dont la robe avait glissé au niveau de l’épaule gauche, et sur l’autre, un gondolier qui tenait une mandoline à la main.
    Sivry sourit en s’excusant :
    — Il faut vivre avec son temps ! Sinon, je n’ai plus qu’à fermer boutique.
    — Quelqu’un s’est-il déjà intéressé au Tintoret ?
    Le marchand baissa la tête d’un air dépité.
    — Pas encore, malheureusement…
    Il réfléchit un moment, puis ajouta :
    — Ce portrait a trop de caractère. Ce n’est pas pour le grand public.
    En le décrochant, Tron avait constaté qu’il était encore plus effroyable en pleine lumière que dans la pénombre du salon vert. La robe marron foncé d’Almorò Tron était couverte de taches verdâtres et le procurateur tenait dans la main quelque chose qui ressemblait à une grande brosse. De plus, en regardant bien, on pouvait voir qu’il louchait.
    — Combien m’en donnez-vous ?
    — Tout au plus quatre cents.
    — Six cents et je vous fais une quittance de sept cent cinquante, repartit le commissaire.
    — Non, quatre cent cinquante avec une quittance de huit cents, continua Sivry.
    Il avait examiné le tableau avec soin et en avait conclu qu’il s’agissait d’un faux. Il se demandait si Tron le savait.
    — D’accord ! accepta celui-ci.
    Ah ! Donc, il le savait. Sivry lui tendit la main.
    — Bien, disons cinq cents.
    Il avait du mal à réprimer un sourire sarcastique.
    — Voulez-vous jeter un coup d’œil sur mes photographies ?
    Le commissaire hocha la tête.
    — Volontiers.
    Il s’avança vers la table sur laquelle se trouvaient des boîtes grises remplies de clichés qui n’avaient pas le format carte de visite habituel, mais qui étaient grands comme du papier à lettres. Ils étaient collés sur une feuille de carton et entourés d’un passe-partout. L’un des coffrets contenait des vues sépia représentant les bâtiments qui bordent le Grand Canal.
    Cet itinéraire en images commençait par la gare et le côté gauche du canal. Le photographe ne s’était pas uniquement intéressé aux bâtiments les plus célèbres. On voyait le palais Da Mosto, le petit entrepôt devant lequel partait le traghetto 1 Garzoni ainsi que le nouveau pont en fonte près de l’Académie. Arrivé au niveau de la place Saint-Marc, l’artiste avait rebroussé chemin et s’était consacré à la rive droite. Tron aperçut la Dogana et le palais Dario (il manquait la Salute), puis les palais des Balbi-Valier, des Foscari et des Pisani-Moretta.
    Tout en sortant l’un après l’autre les clichés de la boîte, le commissaire se demandait si le palais Tron n’avait pas été oublié. Non, derrière la photographie de San Stae, il découvrit la façade qui s’effritait, avec les deux pontons, le petit et le grand, auquel était amarrée la gondole de sa mère. Bêtement, cette vue l’émut et le remplit de sympathie pour l’inconnu qui avait jugé le palais Tron digne de figurer dans sa galerie.
    Il reposa la photographie et constata qu’il n’en restait plus qu’une. Il s’attendait à une vue du Fondaco 2 dei Turchi ou de San Simeon Piccolo, mais au lieu de cela, le dernier cliché (qu’on avait sans doute rangé là par inadvertance) représentait une jeune femme et un homme d’un certain âge se tenant par la main devant un décor représentant une gondole couverte de motifs. Ils portaient tous deux des costumes du settecento : lui un haut-de-chausses, un jabot en dentelle et une perruque, elle une crinoline.
    S’il était sûr de n’avoir jamais vu la jeune femme, le commissaire aurait mis sa main au feu qu’il connaissait son partenaire. Seulement, d’où ? Il lui fallut une demi-minute pour être convaincu que la rencontre était récente, puis une autre pour identifier le conseiller Hummelhauser. Le couple avait l’attitude un peu crispée de ceux qui posent devant un appareil photographique – il ne fallait pas bouger pendant tout le temps d’exposition.
    Alors que

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