L’impératrice lève le masque
deux enfants en train de poursuivre des pigeons, puis sur un vendeur de marrons chauds qui tend un cornet à un sous-lieutenant des lanciers de Linz.
Elle découvre le commandant de place devant le café Quadri , entouré d’une demi-douzaine d’officiers. Sans doute, songe-t-elle, ce colonel Pergen est-il parmi eux, mais elle n’en sait rien. Toggenburg écoute le rapport que lui fait l’un des officiers. Lorsque celui-ci se tait, le chef fait un large sourire et lui tapote sur l’épaule. Élisabeth se retourne d’un geste si brusque que sa longue-vue frôle le nez de Mme Königsegg. Le comte et la comtesse n’ont pas compris ce qui s’est passé et attendent des explications.
— Ce matin, Toggenburg m’a confié qu’un attentat se préparait contre moi. Le conseiller aulique détenait, paraît-il, des documents relatifs à cette affaire. C’est pourquoi il aurait été assassiné.
Entre-temps, les domestiques ont entendu qu’elle était de retour, et comme Élisabeth n’a pas manifesté le désir de quitter la salle d’audience glaciale, Mlle Wastl y a apporté des scaldini , en a placé un aux pieds de la souveraine installée au bureau de son mari et un autre devant le divan sur lequel les Königsegg se sont assis.
— Est-ce la raison de cette opération ?
Le comte Königsegg tient les mains au-dessus de la chaufferette et se frotte les doigts de manière démonstrative pour faire comprendre qu’il préférerait discuter dans la suite de l’impératrice.
— Nous devons signaler chacune de mes sorties, s’insurge Élisabeth. Deux jours à l’avance !
— Que sait-on sur ce projet… d’attentat ?
Mme Königsegg frissonne en entendant ce mot.
— Rien du tout ! répond l’impératrice. Les documents que le conseiller avait dans ses bagages ont disparu. On a certes arrêté le coupable, mais il s’est pendu lors d’une pause de l’interrogatoire. Il n’a presque rien dit.
— Et la jeune femme ? demande le comte.
Il se penche maintenant si fort au-dessus du scaldino que son dos est presque à l’horizontale et qu’il doit se tordre le cou pour parler à l’impératrice. Ce n’est pas vraiment l’attitude requise pour l’intendant en chef de Son Altesse Sérénissime, mais Sissi lui est reconnaissante d’aiguiller la conversation dans la bonne direction.
— Toggenburg m’a dit qu’elle avait elle aussi été tuée par balles. Parce qu’elle aurait été témoin de l’assassinat.
— Mais elle a été étranglée ! s’exclame Mme Königsegg, scandalisée.
Elle ne voudrait pas passer pour quelqu’un qui colporte des rumeurs fallacieuses.
— Justement ! enchaîne Sissi. Qu’en pensez-vous, comte ?
Dans leur petit cercle, c’est lui le spécialiste des questions militaires, puisqu’en principe, il est toujours général de division.
— On raconte souvent à son supérieur ce qu’il a envie d’entendre, explique-t-il. Et Toggenburg a envie d’entendre quelque chose qui lui permette de prendre des mesures de sécurité. Donc, dans son rapport, le colonel va passer sous silence tout ce qui ne corrobore pas l’hypothèse d’une affaire politique. Par exemple le fait que la jeune femme a été violée, puis étranglée. Son Altesse Sérénissime veut-elle en instruire Toggenburg ?
Sissi secoue la tête.
— Pas avant d’en savoir plus. En outre, il me demandera quelles sont mes sources et je peux difficilement avouer que c’est le fiancé de ma femme de chambre, un militaire qui n’a sans doute pas le droit de parler de tout cela.
— Peut-être devrait-on prendre contact avec ce commissaire ? suggère la comtesse.
— Ce sera difficile sans que Toggenburg ne l’apprenne, objecte son mari en faisant une moue sceptique.
— Toggenburg n’a pas l’air très bien disposé à l’égard de ce Tron, renchérit l’impératrice.
Surprise, Mme Königsegg se penche soudain en avant.
— Vous avez dit « Tron », Altesse Sérénissime ?
Élisabeth confirme en hochant la tête.
— Je crois que c’est comme cela qu’il s’appelle. Du moins Toggenburg a-t-il prononcé ce nom. Pourquoi ?
— Parce qu’ils sont de ma famille. Ils habitent un des palais tout au bout de Grand Canal et nous ont invités à un bal masqué.
— Quand ?
— Dimanche.
— Vous y allez ?
— C’est-à-dire… Si Son Altesse Sérénissime…
— Combien de Tron y a-t-il dans cette ville ?
Mme Königsegg hausse les épaules.
— Je n’en sais rien, mais il doit bien
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