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L’impératrice lève le masque

L’impératrice lève le masque

Titel: L’impératrice lève le masque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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réputation parmi les étrangers fortunés de passage à Venise : il ne vendait que des grands noms, à des prix élevés, mais non excessifs, et s’occupait avec une fiabilité sans faille du transport dans les différents pays d’origine de ses clients.
    Tron l’avait très vite apprécié car il n’était pas très pointilleux quant à l’authenticité des œuvres qu’il lui confiait à intervalles réguliers. Avant de mourir du choléra dans les années 1830, son père s’était en effet amusé à faire, avec un rare talent, des dessins dans le style de Giovanni Bellini sur du papier du XVIII e siècle qu’on avait découvert un jour en quantité faramineuse dans un coin de leur hôtel particulier. C’était un pur hasard que le support soit d’époque (Tron était certain que son père n’avait jamais songé à vendre ses dessins), mais quand le commissaire avait proposé l’un d’eux à Sivry, celui-ci s’était aussitôt montré intéressé. Par la suite, il les avait tous achetés les uns après les autres à un prix convenable. Ils n’avaient jamais prononcé le nom de Bellini, mais Tron savait que le galeriste les tenait pour des originaux. De ce fait, il pouvait exiger des sommes que Sivry n’aurait jamais payées pour les dessins d’un illustre inconnu. Ce négoce leur avait à tous deux donné satisfaction, et au fil des ans, une relation presque amicale s’était nouée entre le comte et le marchand d’art.
    Cette fois, le commissaire se demandait s’il avait remarqué que le Tintoret qu’Alessandro lui avait apporté la veille était une copie. Sans doute lui était-il au fond égal qu’il s’agisse d’un original ou non. Il lui suffisait que le portrait d’Almarò Tron évoque Tintoret : l’ombre diffuse sous le nez, la barbe poivre et sel, le rideau relevé à l’arrière-plan, les mains pendant comme des poissons séchés et l’habituelle face de mouton. Même un profane l’aurait aussitôt attribué au maître, et en cela, c’était article idéal pour des étrangers pleins aux as. Il allait de soi que là encore, on avait utilisé pour cette copie une ancienne toile de toute première qualité.
    Quand Tron ouvrit la porte, une cloche tinta dans le fond de la boutique, quelque part derrière un rideau en brocart rouge foncé. Comme à chaque fois qu’il pénétrait dans le magasin de Sivry, il admira l’élégance pure qui se dégageait de chaque objet. La plupart des meubles du palais Tron dataient eux aussi du siècle précédent, mais tandis que ceux du salon de sa mère produisaient d’année en année un effet toujours plus sordide, ceux de Sivry possédaient – sans rien renier pourtant de leur patine – l’éclat opulent que seules peuvent conférer de bonnes affaires et une solide aisance. Tron comprenait pourquoi un certain cercle de clients se sentait bien dans ces murs et achetait en toute confiance. Cet homme, se disaient-ils, n’avait pas besoin de les rouler.
    Une main chargée de bagues apparut sur le bord du rideau et écarta le brocart. Comme d’habitude, le marchand d’art avait poudré ses joues d’un soupçon de rouge et répandait une discrète odeur de violette.
    — Comte Tron !
    Il lui tendit la main, le visage rayonnant de bonheur. Le commissaire savait que cette expression de joie n’était pas feinte.
    — Que s’est-il passé ? demanda Tron sans ambages.
    Devant le Quadri , il avait aperçu une douzaine d’officiers s’entretenant avec verve.
    — L’impératrice est venue sur la place Saint-Marc, répondit le Français, l’air assombri.
    — Mais elle vient tous les jours et personne ne fait attention à elle !
    — Certes, mais aujourd’hui, elle était escortée par la moitié de l’armée autrichienne ! Quelqu’un a dû décider qu’il fallait renforcer la sécurité. Ils ont repoussé à coups de matraque ceux qui ne s’écartaient pas assez vite.
    Il secouait la tête, scandalisé.
    — Quand la foule a commencé à crier, l’impératrice a fait demi-tour et s’est réfugiée dans son palais.
    — Que criaient-ils ?
    — Des hourras en l’honneur de Verdi, répondit-il en frissonnant. C’est tout simplement abject.
    « Mon Dieu, quel ton tranchant ! Est-il proautrichien ? »
    Tron lui demanda :
    — Avez-vous déjà rencontré Son Altesse ?
    Sivry retrouva alors un sourire radieux.
    — L’impératrice est venue dans mon magasin il y a trois semaines. Accompagnée d’un monsieur et d’une dame. Elle a

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