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L’impératrice lève le masque

L’impératrice lève le masque

Titel: L’impératrice lève le masque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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palais Tron.
    Deux officiers traversèrent le ponte dei Frari au bras de jeunes femmes vêtues de tailleurs de voyage, puis passèrent à côté d’eux. L’un d’eux fit une remarque à sa partenaire qui éclata de rire.
    — De mon temps, on n’aurait jamais vu cela, commenta Haslinger en secouant la tête. Des officiers qui se promènent avec des dames en plein jour !
    — Vous avez été officier ?
    — Dans les dragons de Linz. Mais après la reconquête de Milan, à l’été 1848… – il cherchait le mot juste –, cela n’allait plus. J’ai donné ma démission.
    — Pourquoi ? demanda Tron.
    Le directeur ne dit rien. Pendant quelques secondes, son regard se perdit dans le vide. Puis il haussa les épaules d’un air résigné et fit un sourire mélancolique.
    — Je ne supporte pas la vue du sang, confia-t-il.
    Le commissaire le regarda monter dans sa gondole et se demanda comment un homme qui ne supporte pas la vue du sang peut s’engager dans l’armée.
    1 - Auberge. ( N.d.T. )

17
    Sissi arrive sur la place Saint-Marc, qui forme un long trapèze, par le plus petit des quatre côtés. La bruine a cessé. À l’abri des Nouvelles Procuraties, il fait une chaleur étonnante pour un après-midi de février. Comme à chaque fois qu’elle sort, Élisabeth est accompagnée d’une petite suite : à Venise, il n’y a par bonheur que les Königsegg et deux lieutenants en civil, qui marchent en règle générale à quelques pas de distance pour conserver à ces promenades leur caractère privé.
    C’est ce qui lui a toujours plu ici : les gens ne se font pas un monde de sa personne. Ceux qui la reconnaissent détournent les yeux avec indignation – c’est souvent le cas, et d’une certaine manière, elle les comprend – ou bien baissent le regard avec déférence. Les officiers la saluent en portant la main à leurs couvre-chefs, certains hommes soulèvent leurs hauts-de-forme et inclinent le buste. À Vienne, elle ne pourrait pas mettre un pied dehors sans provoquer aussitôt une émeute – et de toute façon, cela ne sied pas à une Altesse Sérénissime.
    Au bout de dix pas, elle se demande comment elle a fait pour ne pas remarquer aussitôt ce qui se passe. Il est aussi difficile de manquer les soldats postés sur la galerie supérieure de la basilique et sur le Campanile que les hommes vêtus de redingotes noires, armés de cannes et coiffés de hauts-de-forme gris dont Sissi évalue le nombre à une soixantaine au moins. Ils ont formé un périmètre de sécurité autour d’elle, s’avancent à chacun de ses pas, écartent et repoussent les gens sur la place de sorte qu’un vide se crée autour d’elle.
    La chorégraphie est parfaite. Les mouvements de ces petits rats de l’Opéra atteignent sans peine leur objectif : tracer un cercle au milieu duquel elle traverse la place Saint-Marc comme s’il s’agissait d’une scène de théâtre. Bien qu’elle s’efforce de garder les yeux rivés sur le pavement, elle constate que l’animation qui régnait avant son arrivée a cédé la place à une atmosphère pesante. Celui qui, un instant auparavant, nourrissait encore les pigeons ou se faisait photographier accorde maintenant toute son attention à l’impératrice. Italiens, étrangers, membres des différents corps d’armée stationnés à Venise constituent une arène de deux ou trois rangs et la fixent du regard.
    Des cris s’élèvent dès qu’elle se retourne pour battre en retraite à pas lents (sinon cela aurait l’air d’une fuite). Elle ne perçoit tout d’abord que quelques voix éparses. Puis d’autres se joignent aux premières, et à la fin, c’est tout un chœur qui hurle de plus en plus fort et de plus en plus vite quatre syllabes qu’elle comprend seulement quand les étrangers, croyant sans doute qu’il s’agit du musicien, les entonnent à leur tour. La foule crie : « Viva Verdi ! » Elle sait bien, elle, que cela n’a rien à voir avec le compositeur, mais que c’est un acronyme signifiant : « Vive Victor-Emmanuel roi d’Italie ! »

18
    Le marchand d’art Alphonse de Sivry avait débarqué au début des années cinquante. C’était un Français rondouillard qui faisait penser à un petit cochon en pâte d’amandes, parlait un vénitien fortement teinté de gallicismes et possédait depuis six ans un magasin élégant sur la place Saint-Marc. Spécialisé dans les tableaux et les gravures du settecento , il avait bientôt joui d’une solide

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