l'incendie de Rome
vérité à l’empereur ?
— Oui. Le peuple désire qu’il chante.
— Tu n’as pas exagéré pour lui faire plaisir ?
— Non. Les gens sont impatients de l’entendre et ils sont furieux que les Napolitains aient été les premiers.
— Cela me rassure. Je suis certain que, de toute façon, Néron aurait chanté. Je préfère que ce soit avec l’assentiment du peuple… Maintenant, je suppose qu’il va me demander de m’occuper personnellement du concours.
— Il me l’a dit, effectivement.
— Comme si je n’avais que cela à faire !
Après avoir poussé quelques jurons, le préfet du prétoire se ressaisit.
— Mais puisque c’est le plus important pour notre César, cela passe avant tout le reste. Je te remercie, Gemellus…
— J’ai autre chose à te dire. Il y a eu une émeute à la suite du deuxième échec du sacrifice. La foule s’en est prise à la tribune et elle l’a incendiée.
— Je viens de l’apprendre. Tu as des informations plus précises à ce sujet ?
— Oui. Les émeutiers proféraient des injures et des menaces contre les nouvelles religions, en particulier une que je ne connais pas, les chrétiens. Leur dieu s’appellerait Christos.
Tigellin fixa Lucius avec beaucoup d’intérêt.
— Moi, j’en ai entendu parler. Ce sont des juifs dissidents. L’un d’eux a été jugé il n’y a pas longtemps par le tribunal de l’empereur, ici, à Rome. Il a été acquitté, je crois.
— Tu sais qui ?
— J’avoue que je n’ai pas suivi l’affaire de près. Ces querelles religieuses entre juifs me donnent mal à la tête. Qu’as-tu appris sur les chrétiens ?
— Ils feraient des sacrifices humains et mangeraient leurs victimes.
— Rien que cela !… Je ne savais quelle nouvelle mission te donner, elle est toute trouvée.
— C’est que Néron me veut auprès de lui…
— Quand il chante, mais il ne va pas s’entraîner toute la journée, sinon, il n’aurait plus de voix. Tu as le temps d’être mes oreilles à moi aussi.
— Qu’attends-tu de moi exactement ?
— Que tu t’infiltres chez les chrétiens et que tu vérifies ces accusations.
— Tu as une idée de la façon de procéder ?
— Ce sont des juifs, va dans une synagogue. Si tu ne les rencontres pas eux, tu glaneras sans doute des renseignements.
Lucius se préparait à se retirer, mais le préfet du prétoire le retint.
— Une dernière chose : prends garde à toi !
— Tu penses que cela peut être dangereux ? À cause des chrétiens ?
— À cause d’eux et des autres. Ils ont des ennemis et on va te prendre pour l’un des leurs.
Lucius Gemellus salua et se retira. Il n’était pas à proprement parler inquiet, mais il avait conscience que cette journée des Fordicidia venait de changer radicalement son existence.
3
La prédication de Paul
On était samedi. Lucius Gemellus se répétait cette phrase qui, jusqu’alors, ne signifiait absolument rien pour lui. Comme tous ses contemporains, il ne connaissait que les mois. À une exception près, pourtant : les juifs vivaient au rythme d’une de leurs inventions, la semaine. Ils avaient divisé le temps en périodes de sept jours d’après le livre sacré de leur religion, qui disait que Dieu avait créé le monde en six jours et s’était reposé le septième. C’était pourquoi celui-ci, le samedi ou sabbat, était sacré pour eux. Toute activité y était interdite et c’était ce jour qu’avaient lieu leurs cérémonies.
La synagogue où Lucius se rendait était située fort loin du Palatin, de l’autre côté du Tibre, dans le quartier assez malfamé de Transtevere. Il avait choisi celle-ci parce que la boutique de ses parents était sur le chemin et il en profiterait pour leur rendre visite… Cela faisait déjà trois jours que les Fordicidia avaient eu lieu. Pour l’instant, l’empereur ne l’avait pas appelé auprès de lui. Ses répétitions n’avaient pas commencé. Mais il lui avait fait dire par des émissaires de se tenir prêt. Lucius avait donc décidé de s’acquitter sans plus attendre de la mission de Tigellin.
Il n’avait jamais fréquenté les juifs et il aurait été très étonné si on lui avait dit qu’il allait un jour se mêler à eux. Il avait sur leur compte l’opinion généralement admise par ses concitoyens : c’étaient des gens bizarres et même
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