l'incendie de Rome
transforma en stupeur : il s’agissait des toilettes impériales ! Celles-ci étaient collectives, comme toutes les autres, avec le luxe en plus. Un banc de porphyre rouge, dans lequel étaient percés quatre trous, en faisait le tour. Pour éviter un contact trop froid, des coussins, percés également, y avait été disposés. À côté de chacun d’eux, était placée une corbeille d’or remplie de plumes d’oiseau multicolores destinées à s’essuyer. En dessous, un filet d’eau coulait avec un bruit harmonieux… Lucius ne revenait pas de l’honneur qui lui était fait. On ne partageait ses cabinets qu’avec sa famille et ses amis les plus intimes. C’était une marque d’estime bien plus grande qu’une invitation à dîner.
Très intimidé, il releva le bas de sa tunique et s’assit à l’emplacement que lui montrait l’empereur. Il n’avait jamais vu celui-ci d’aussi près. S’il n’était pas à proprement parler bel homme, il ne manquait pas d’allure : un corps massif, un cou de taureau, des cheveux d’un roux très clair encadrant un visage semé de taches de rousseur. Il dégageait une impression de puissance peu commune, même si, pour l’instant, il n’avait pas l’air assuré du tout. Bien au contraire, il était couvert de sueur et tremblait légèrement. Il déglutit, puis demanda d’une voix hésitante :
— Tu t’es acquitté de ta mission ?
Lucius Gemellus ne savait pas que Tigellin avait parlé de son enquête à l’empereur. Il lui avait dit, au contraire, que c’était une initiative qu’il avait prise à son insu. Sans doute avait-il changé d’avis depuis.
— Oui, César.
— Alors, que pense le peuple ? Est-ce qu’il accepte de m’entendre chanter ?
— Non seulement il accepte, mais il est furieux que tu ne l’aies pas encore fait.
— Tu es sûr de ce que tu dis ?
— Certain. J’ai écouté tout le monde autour de moi. J’ai rarement obtenu une réponse plus nette à une question.
— C’est merveilleux ! C’est merveilleux !
Pendant quelques instants, l’empereur laissa bruyamment éclater sa joie et pas seulement par le haut de sa personne, puis il se mit à parler avec précipitation :
— Tu sais ce que je vais faire, Gemellus ?
— Tu vas donner un récital pour le plus grand bonheur de tes sujets.
— Non, pas un récital. Je vais participer au concours de chant annuel, fin juin. Il reste deux mois et demi. Peut-être qu’en m’entraînant tous les jours, ce sera suffisant. Qu’est-ce que tu en penses ?
Néron était dans un état d’émotion indescriptible, partagé entre l’exaltation et l’inquiétude. Sans attendre la réponse à sa question, il reprit :
— Je vais rouvrir le théâtre de ma propriété du Vatican. J’y ai déjà chanté, mais devant des amis, en privé, ce n’était pas pareil… Évidemment, il faudra l’agrandir, ajouter des gradins. Tigellin se chargera de cela. Il s’en sortira très bien. Il se sort très bien de tout ce que je lui demande… Oui, mais est-ce raisonnable ? Je ne peux pas concourir contre des professionnels. Je n’y arriverai jamais.
— Je suis sûr que ta voix est divine.
— C’est aussi ce que pense le peuple ?
— Je l’ai entendu dire par tout le monde…
De nouveau, Néron s’exclama : « C’est merveilleux ! », puis il ajouta avec un large sourire :
— Parle-moi de toi, Gemellus. Tigellin m’a dit qu’il t’appelait « mes oreilles » et que tu étais son meilleur agent. Grâce à toi, paraît-il, Rome n’a plus de secrets pour lui…
— Que veux-tu que je te dise, César ?
— Ton âge, d’abord.
Lucius ne savait pas s’il pouvait faire cette confidence, mais il osa quand même :
— Le tien, exactement. Je suis né la même année, aux ides de décembre (2) .
Néron poussa une exclamation qui résonna dans le lieu exigu où ils se trouvaient :
— C’est un signe des dieux ! Sais-tu à quelle heure ?
— Le matin, je crois.
— Comme moi ! Où cela s’est-il passé ?
— Dans la boutique de mes parents. Ils vendent de l’huile près du Circus Maximus. Ma mère travaillait ce jour-là et je suis sorti si brutalement que je suis tombé dans une jarre d’huile. Il paraît qu’elle a eu toutes les peines du monde à m’en retirer, parce qu’elle n’arrivait pas à me saisir, tellement
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