l'incendie de Rome
j’étais glissant !
L’empereur partit d’un grand rire, puis se tut. Il y eut un instant de silence, pendant lequel on n’entendit plus que le bruit harmonieux du filet d’eau qui coulait. Il se tourna vers Gemellus et le considéra attentivement. Il ne riait plus, il avait l’air, au contraire, vivement ému.
— Ce sont les dieux qui t’envoient ! Ils ont voulu nous réunir pour que nous vivions ensemble cette glorieuse aventure, toi le fils du peuple et moi l’empereur. Je veux que tu restes avec moi jusqu’au concours.
— Ce sera un grand honneur. Qu’attends-tu de moi ?
— Que tu m’écoutes. Jusqu’ici, tu étais les oreilles de Tigellin, maintenant tu vas devenir les miennes. Tu représenteras le public romain et tu me diras ce que tu penses, tu le diras avec une totale sincérité. Je l’exige ! Tu as compris ?
Trop impressionné pour répondre, Lucius Gemellus se contenta d’acquiescer de la tête. L’empereur se leva alors et s’empara d’une poignée de plumes d’oiseau, avec lesquelles il s’essuya méthodiquement. Lucius Gemellus, bien que n’ayant rien fait, jugea qu’il était convenable de l’imiter. Tandis qu’ils se livraient tous deux à cette activité, Néron reprit la parole :
— Et ma naissance à moi, tu sais comment elle s’est passée ?
— Tout Rome le sait. Au moment où tu as vu le jour, tu as été touché par un rayon de soleil, ce qui t’a consacré dès le début à Apollon et aux muses.
— C’est vrai. Mais Apollon n’est pas seulement le patron des chanteurs, c’est aussi celui des conducteurs de chars.
— Tu sais conduire les chars ?
— Je m’entraîne en secret. Bientôt, tu me verras dans un cirque, avec un attelage. Car tu viendras me voir, n’est-ce pas ?
— Avec joie ! Quand cela ?
— Dans pas si longtemps. Mais d’abord, le chant…
L’empereur jeta ses plumes, qui retombèrent dans un tourbillon de toutes les couleurs. Lucius l’imita et quitta à sa suite les toilettes impériales. Ils se retrouvèrent dans le bureau. Néron frappa dans ses mains. Instantanément, la porte s’ouvrit. Un officier parut.
— Envoie chercher Sénèque. Je veux le voir tout de suite.
L’homme s’inclina.
— Certainement, César. Mais je te rappelle qu’il y a une délégation de sénateurs, conduite par Caius Pison, qui attend de te voir depuis ce matin.
— Tu as raison. Au passage, dis-leur de venir. Je vais les recevoir avant.
Le militaire salua et se retira. L’empereur se mit à déambuler entre les statues qui encombraient la pièce, les chefs-d’œuvre des maîtres grecs et les ébauches dont il était l’auteur.
— Je vais apprendre la grande nouvelle à Sénèque ! Après, j’irai l’annoncer à Poppée.
Il arriva devant son bureau et s’empara de plusieurs des documents qui traînaient sur le marbre. Il les parcourut des yeux.
— Ce sont des poèmes que j’ai écrits. J’ai envie d’en mettre certains en musique et de les chanter au concours… Tiens, celui-ci est sur la chute de Troie. Qu’est-ce que tu en penses ?
L’empereur se mit à déclamer. Le poème décrivait les Grecs sortant de leur cheval et incendiant la ville. Le vieux roi Priam découvrait le désastre à la terrasse de son palais et versait des larmes devant ce spectacle. Lucius Gemellus était loin d’être un spécialiste en poésie, mais il trouvait que tout cela ne manquait pas d’allure. De plus, on y sentait une réelle émotion. Néron était incontestablement fait pour une carrière artistique. C’était d’ailleurs là tout son problème… Lucius s’apprêtait à lui faire des compliments qui n’étaient pas feints, lorsque la porte s’ouvrit, pour laisser le passage à l’imposante délégation du Sénat conduite par Caius Calpurnius Pison. L’homme, que Lucius avait déjà aperçu à plusieurs reprises, était un familier de l’empereur. Il portait la cinquantaine avec beaucoup d’aisance. Il avait les cheveux grisonnants coupés court, les yeux gris également, le front large, un air de grande intelligence. Il possédait une magnifique propriété près de Rome, dans laquelle il avait fait construire un théâtre privé et il y avait donné plusieurs représentations pour l’empereur. Ce dernier les avait beaucoup appréciées et il lui arrivait de lui rendre visite, seul, sans gardes, ce qui
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