l'incendie de Rome
agricoles d’Égypte. À tout prendre, même s’il ne les aimait guère, Lucius préférait l’attitude des libertins groupés autour du poète Pétrone, surnommé par l’empereur « l’arbitre des élégances ». Eux, ils étaient à la cour pour se donner du bon temps et ils n’avaient pas l’hypocrisie de le cacher…
La nouvelle vache arriva enfin, saluée par les acclamations du public, qui ne tarda pas à faire silence pour que le sacrifice puisse avoir lieu. On entendait çà et là des encouragements à mi-voix à l’adresse du prêtre, l’incitant à se retenir. Mais tout se passa bien de ce côté-là. Après le dialogue rituel, le sacrificateur de nouveau leva sa hache et abattit l’animal d’un seul coup. Puis il brandit son arme pour lui ouvrir le ventre et à ce moment-là survint une seconde catastrophe. Quelque part sur l’esplanade, retentit un aboiement. Les nombreux soldats qui avaient été chargés d’éloigner les chiens du voisinage avaient mal fait leur travail car, tout comme l’éternuement, l’aboiement était un signe de refus des dieux. Il fallait à nouveau tout recommencer, aller chercher une troisième vache pleine !
Cette fois, c’en fut trop pour l’empereur et la cour. Néron quitta sa place, suivi des autres occupants de la tribune. Peu après, leurs nombreux chars d’apparat se mirent en marche, provoquant une bousculade au cours de laquelle plusieurs personnes manquèrent de périr étouffées. Mais c’en était trop aussi pour le public, qui était au comble de l’exaspération et éclatait en cris furieux. Qu’un incident de ce genre annule une cérémonie, c’était déjà arrivé, mais deux fois de suite, cela faisait des années qu’on n’avait pas vu cela !…
D’où partit la rumeur ? Personne ne le sut, mais bientôt une certitude s’imposa parmi l’assistance : les dieux étaient en colère à cause de l’arrivée des nouvelles religions. En effet, des cultes venus d’Orient ne cessaient de se développer à Rome et cela dans toutes les classes de la société, le peuple comme les privilégiés, y compris la cour. Bientôt, leurs noms furent vociférés par la foule :
— À mort Isis ! À mort Cybèle ! À mort Mithra !
Il y avait quelque illogisme à souhaiter la mort de dieux, qui étaient par définition immortels ou, si on n’y croyait pas, inexistants, mais le peuple n’en avait cure et s’excitait de plus en plus. Si la plupart tentaient de quitter les lieux, une minorité s’était dirigée vers l’estrade abandonnée et avait entrepris de la démolir pour passer sa colère.
Lucius Gemellus n’avait aucune envie de participer à ces débordements, mais il avait été pris dans le mouvement de foule et n’arrivait pas à se dégager. Ballotté entre les uns et les autres, il essayait de se sortir de cette situation, lorsqu’il entendit plusieurs personnes crier autour de lui :
— À mort Christos !
S’il connaissait, comme tout le monde, les cultes d’Isis, de Cybèle et de Mithra, il n’avait jamais entendu parler de celui de Christos. Sa curiosité naturelle l’emporta sur son désir de se mettre à l’abri. Il questionna l’un de ceux qui venaient de s’exprimer :
— Qui est Christos ?
— Le dieu des chrétiens.
— Je n’en ai jamais vu.
— Bien sûr, ils se réunissent en secret.
— Ils sont dangereux ?
— Ce sont les pires. Ils font des sacrifices humains et ils mangent leurs victimes…
Lucius Gemellus aurait bien aimé en apprendre davantage, mais les soldats chargèrent à ce moment-là. Il évita de justesse un coup donné avec le plat de l’épée et s’enfuit aussi vite qu’il le put. Il prit la direction du Palatin et de la résidence impériale. Il avait des choses importantes à apprendre à Tigellin : non seulement la réponse à la question concernant Néron, mais aussi l’existence de ces chrétiens. Car la présence à Rome d’un groupe suspecté d’activités aussi graves ne pouvait laisser le préfet de prétoire indifférent.
2
Dans l’intimité impériale
Lucius Gemellus ne tarda pas à arriver sur le Palatin, la colline la plus résidentielle de la ville, celle qui abritait les plus riches demeures, dont le palais impérial. Celui-ci, s’il ne se distinguait pas par un aspect extérieur imposant, disposait du luxe le plus rare à Rome : l’espace. Il était
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