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L'inconnu de l'Élysée

L'inconnu de l'Élysée

Titel: L'inconnu de l'Élysée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Péan
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l'État, le président a livré une fois de plus quelques-uns de ses souvenirs devant un amphithéâtre bondé : « Le Japon, c'est vrai, Monsieur le président, vous l'avez dit, est un pays que j'aime. Que j'ai découvert dans ma jeunesse, à Paris, au musée des arts asiatiques Guimet… » Et de faire l'article sur « son » magnifique musée fondé à la fin du xix e siècle, au retour d'un voyage au Japon, par un industriel féru d'archéologie et d'histoire des religions. Il explique que c'est après avoir ressenti un choc esthétique devant la statuaire bouddhique qu'il a tout naturellement été lui-même conduit à vouloir connaître les autres aspects de la civilisation japonaise. Et, surprise pour ceux qui le prendraient encore pour un analphabète, il est aussi féru de poésie japonaise : « À cette époque, j'ai découvert avec bonheur le Manyoshu , ce monument de votre littérature classique que je relis régulièrement et que j'ai voulu voir traduit entièrement en français, ce qui est maintenant fait […]. J'ai étudié avec passion les mythes fondateurs de l'archipel et ses grandes épopées… »
    Jacques Chirac déclare avoir été également séduit par la virtuosité des potiers, par l'élégance de l'architecture, par l'harmonie des jardins, par le raffinement esthétique et la sensibilité du théâtre, par la variété et la finesse de la cuisine, aussi – ce que tout le monde sait aujourd'hui – par le rituel des lutteurs de sumo. « Ainsi est née ma passion pour le Japon, une passion entretenue par mes très nombreuses visites dans votre pays », conclut-il ce jour-là.
    Son intérêt pour le Manyoshu m'intrigue. Jacques Chirac m'explique : « De mon point de vue, c'est probablement – il ne faut jamais dire la plus grande œuvre de la culture mondiale, parce qu'on peut toujours en trouver une autre –, c'est sûrement l'une des trois plus grandes œuvres de la culture mondiale… Je m'y étais intéressé, mais, naturellement, je ne peux la lire dans le texte. Aussi ai-je voulu que le Manyoshu soit traduit en français. Je me suis fait conseiller par Jean-François Jarrige, le directeur du musée Guimet… Je sais bien que tout le monde ne se précipite pas sur le Manyoshu , mais c'est vraiment pour moi une des œuvres maîtresses de la culture mondiale… »

    C'est lors de l'inauguration du musée Guimet rénové, le 15 janvier 2001, que Jacques Chirac est allé le plus loin dans les confidences publiques sur ses passions asiatiques et le rôle qu'y a joué « son » musée : « En fervent amoureux de Guimet […], j'y ai de profondes attaches. Il fut pour moi, comme pour tant d'autres, un lieu de révélation et d'apprentissage. C'est ici qu'il y a longtemps j'ai rencontré et aimé l'Asie. Ici que j'ai découvert l'ancienneté, le génie de civilisations majestueuses. Que j'ai mesuré leur grandeur. Et, par contraste, le carcan ethnographique ou exotique dans lequel l'Occident les avait trop souvent tenues enfermées. »
    Le président se fait ensuite lyrique : « J'ai passé là de longs moments. Admirant, sur les linteaux et frontons des temples khmers, l'affrontement des dieux gracieux et des titans. Interrogeant le sourire énigmatique des somptueux Bodhisattvas. Fixant leurs figures harmonieuses et calmes, écoutant leur silencieux message de détachement et de sérénité. Comme beaucoup de visiteurs, et parce que “les tiares d'Ajanta, les torses gréco-bouddhiques appellent toujours dans l'esprit la grande vie légendaire”, disait André Malraux, j'ai médité sur l'Éveil du prince Siddhartha. J'ai suivi en imagination le long chemin de sa pensée par la route de la Soie. Devant les bouddhas à visage d'Aphrodite ou de Ganymède exhumés de Hadda – malheureusement feu Hadda –, j'ai rêvé à la prodigieuse rencontre des soldats perdus d'Alexandre avec les cavaliers des steppes et les ascètes de l'Inde. »
    Au milieu de son interminable discours, Jacques Chirac a révélé en quelques mots les raisons profondes de son amour pour le musée Guimet et de sa passion pour l'Asie. Ce « musée fut autre chose qu'une collection de curiosités, bien davantage qu'un musée des beaux-arts : un véritable “laboratoire d'idées”, un centre de recherches sur les religions et les civilisations du monde. Un lieu de réflexion pour puiser à d'autres sources les réponses aux grandes questions de l'Occident moderne ». Mais aussi pour quérir des

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