L'inconnu de l'Élysée
par elle.
« C'est indissociable, mais comme je ne suis pas philosophe, ma connaissance de la philosophie chinoise est restée relativement superficielle. C'est inséparable et je m'y suis donc intéressé aussi…
– Vous êtes imprégné par cette philosophie ?
– Je vois bien le sens de la question, elle est intéressante… Oui, c'est une question intéressante…
– Vous voyez où je veux en venir ?
– Non, mais il n'est pas dépourvu d'intérêt de savoir si on est imprégné ou non par des pensées et des cultures étrangères…
– Exactement.
– Pour dire la vérité, je ne le crois pas. Je suis passionné, fasciné, mais, curieusement, je ne me sens pas influencé. Peut-être me trompé-je, mais si je respecte beaucoup toutes les cultures, je ne peux pas dire que je suis plus impressionné par la culture chinoise que par d'autres…
– En revanche, j'ai cru déceler chez vous sinon un rejet, du moins une certaine distance par rapport aux xvii e et xviii e siècles européens, par rapport aux Lumières…
– Il ne s'agit pas d'un rejet, plutôt d'un agacement vis-à-vis de ceux qui ne voient et ne jugent que par rapport à cela. Non, et je n'éprouve naturellement pas le moindre rejet non plus pour les époques traditionnelles, que j'apprécie énormément, mais je suis souvent irrité par ceux qui ne jugent que par telle ou telle… »
Jacques Chirac n'a pas fini de me retracer son cheminement intellectuel le long de la route de la Soie, celle qu'emprunta le bouddhisme. Après la Chine, il s'est passionné pour l'Empire du Soleil levant sans pour autant renier ses premières passions. Ayant acquis une culture livresque et muséale, faisant sienne la pensée de Saint-John Perse – « Il n'y a pas de formation humaine complète sans séjour en Extrême-Orient » –, il a découvert l'Asie, « ses campagnes, ses rizières où s'enracinent des modes de vie et des morales millénaires ; ses villes où s'incarnent la vitalité, le dynamisme, l'ingéniosité des peuples ».
C'est au Japon qu'il a éprouvé un de ses grands chocs esthétiques : « Lors d'un de mes premiers voyages au Japon, je suis allé dans un monastère de Horyuji, à Nara, et j'ai été voir la Kudara Kannon, une permanence de Bouddha. L'extraordinaire beauté et sérénité qui s'en dégageaient m'ont fait un choc. C'est une œuvre majeure de l'art sino-japonais du vi e siècle. C'est comme ça que je me suis intéressé d'emblée au Japon… Et je n'ai eu de cesse de faire venir la Kudara Kannon à Paris. Naturellement, elle n'avait jamais quitté l'archipel et je me suis dit que j'allais, en échange, faire quelque chose d'important, et que j'allais envoyer quelque chose d'important : la Liberté , au Japon 7 . Vous ne pouvez pas imaginer les difficultés que j'ai eues pour faire parvenir la Liberté au Japon avec cet “homme à l'écharpe rouge”, un homme de salon, Pierre Rosenberg, directeur du Louvre de 1994 à 2001. »
Pause : autant le président a le plus grand mal à dire un mot de travers sur tous ceux qui lui ont planté dans le dos poignards, flèches et javelots, autant, quand dans un récit il croit deviner une allusion à l'« homme à l'écharpe rouge », il fonce comme un taureau. J'ai ainsi été témoin de nombreuses de ses charges sauvages.
Reprise de la ruade :« La honte de ma vie ! J'obtiens, en échange de la Liberté , l'envoi de la Kudara Kannon au deuxième semestre de 1997. Il fallait vraiment que mes relations avec les autorités et les milieux culturels compétents au Japon soient de toute confiance. On fait donc venir la Kudara Kannon. J'avais pensé à tout, sauf à ce triste personnage [NDLA : Rosenberg]. Ils me l'ont collée dans un sous-sol ! Naturellement, j'avais fait venir tout ce qu'il y avait de plus distingué parmi les prêtres shinto qui l'accompagnaient. Pour montrer la Kudara Kannon, une manifestation shinto, avec toutes sortes de prières, de déclarations, etc., était indispensable. Et ils m'avaient foutu ça dans les caves du Louvre ! C'était incroyable, j'en ai eu la honte de ma vie… Naturellement, les Japonais, comme toujours, ont fait comme s'ils ne s'apercevaient de rien, mais c'est une des choses que je n'ai pas pardonnées à ce monsieur… »
Quand il a été fait docteur honoris causa de l'université de Keio, au Japon, le 18 novembre 1996, à l'occasion de sa première visite officielle au Japon en tant que chef de
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