L'inconnu de l'Élysée
s'est installé au petit bonheur à une table. Il sent bientôt une certaine excitation se propager autour de lui. Des Libyens sont en quête de quelqu'un dans la salle. Il entend le mot « professeur ». C'est lui qu'un responsable de la sécurité est en train de chercher. Il vient à lui :
« Le président Chirac vous demande à la table présidentielle. »
Brunet se faufile au milieu des tables et parvient près de Chirac qui le présente au Guide, puis entreprend de conter toute l'histoire de Toumaï. Quand il en a terminé, il se tourne vers le professeur Brunet :
« Est-ce que j'ai oublié quelque chose ?
– C'est parfait, répond Brunet. La prochaine fois, vous pourrez faire le voyage sans moi !… »
Il demande néanmoins au président d'ajouter que « la Libye appartient probablement au berceau de l'humanité ». Après traduction, le Guide se lève et, tendant la main au professeur, lui dit :
« Vous êtes mon invité permanent à Tripoli… »
La délégation française rentre à Paris et lorgne maintenant le professeur d'un œil différent. Un de ses membres commente même avec humour : « Dans la première partie du voyage, Brunet nous accompagnait ; dans la deuxième, nous accompagnions Brunet… »
Le professeur est rentré à Poitiers depuis peu quand le directeur de cabinet de Kadhafi l'appelle :
« Tu arrives quand ? Le Guide t'attend. »
Le professeur reprend sa valise et s'envole à nouveau vers Tripoli d'où on l'emmène dans le désert de Syrte. Sous une tente, pendant deux heures et demie, en pleine nuit, il va y dialoguer avec le Guide. Il raconte une nouvelle fois toute son histoire, ébahi par la culture de son vis-à-vis : « Un bon naturaliste qui dispose d'une belle lunette astronomique et d'une loupe binoculaire pour examiner les minéraux et les petits animaux du désert. » Le Guide confirme son accord pour qu'il puisse poursuivre en Libye les recherches qu'il a commencées au Tchad, autour de deux thématiques : à l'époque de Toumaï, les mêmes hippopotames ne vivaient-ils pas dans le lac Tchad et autour de Syrte ? les singes sont-ils originaires d'Afrique ou d'Asie ?
Le Guide propose de surcroît à Brunet de l'aider matériellement. Les travaux de prospection commenceront au début de 2007.
Intarissable sur la passion du président Chirac, le professeur Brunet clôt notre entretien 1 par une anecdote à laquelle il tient beaucoup :
« J'étais à l'université de Berkeley lorsque j'apprends que se développe à Paris une terrible campagne contre moi, qui me présente comme un faussaire. C'était un samedi. J'essaie comme je peux de réagir à ce torrent de calomnies. J'envoie des courriels au CNRS, au ministère de l'Éducation nationale, au ministère des Affaires étrangères. Découragé, je dis à mon collègue américain que je vais finir par envoyer un e-mail au président. “Tu es bien français, me répond celui-ci. Aux États-Unis, ce serait impensable : Bush ne sait même pas ce que c'est que la paléontologie !”
« J'envoie donc mon texte au chef de l'État pour le rassurer et lui dire que la campagne fomentée contre moi n'est qu'un tissu de calomnies. J'étais très abattu. Je reviens le lendemain matin au laboratoire de Berkeley. J'ouvre mon ordinateur. Je n'avais qu'une réponse à tous mes courriels : celle de Jacques Chirac, qui disait en substance : “Professeur, n'attachez aucune importance à ces attaques. La référence, c'est Nature . Quant à la presse, si vous étiez à ma place…” »
Cette hantise de Jacques Chirac de cerner au plus près ce qui s'est passé aux origines de l'humanité n'emprunte pas seulement les voies de la paléontologie, de l'archéologie et autres sciences des origines ; elle passe par la connaissance et donc la protection de ces peuples premiers qui portent avec eux tout ou partie des secrets des origines. Il s'est ainsi pris de passion pour les Inuits et soutient son ami Jean Malaurie, leur protecteur, président d'honneur de l'Académie polaire, dans son combat en faveur de « peuples qui ont apporté au monde leur culture, leur force, leur réflexion, leur sensibilité, qui ont connu beaucoup de difficultés, celles de l'adaptation au monde moderne, […] mais dont, aujourd'hui, […] on reconnaît l'importance pour le dialogue moderne entre nos cultures et entre nos civilisations ». Il a souligné « la passion, la générosité, l'intelligence mises par le
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