L'inconnu de l'Élysée
les indigènes 5 . »
La compassion de Jacques Chirac s'applique aussi, on l'a vu, à l'Afrique et aux Africains qui ont payé au prix fort les conséquences de la conquête espagnole de l'Amérique. Lors de mon deuxième entretien avec Jacques Chirac, je le lance sur le sujet :
« Vous tenez, paraît-il, un discours fustigeant les Lumières qui ont martyrisé l'Afrique… »
Je me retrouve faire face non seulement à un homme passionné, mais à un militant enflammé dont les mots me rappellent les discours tiers-mondistes des années 1960-70 et ne sont plus employés aujourd'hui qu'au sein de petits cénacles gauchistes et « droit-de-l'hommistes ». Mon stylo a beaucoup de mal à suivre – mon enregistreur a eu la fâcheuse idée de refuser tout service un quart d'heure avant cette envolée – un réquisitoire aussi concis que virulent. Tentative de reconstitution.
« L'esclavage a toujours existé en Afrique au profit des Arabes et avec la complicité de chefs locaux. Puis est venue la traite, qui a duré quatre siècles. Cela a été un phénomène massif, perpétré également avec la complicité de chefs tribaux. On a pris les meilleurs, on a pillé le sang des Africains… Et après on a dit que les Africains n'étaient bons à rien !
« Ensuite est survenue la deuxième « calamité » : les curés et les imams qui se sont rués sur les bois sacrés et ont détruit l'expression culturelle…
« Puis la troisième calamité internationale a fondu sur l'Afrique : les antiquaires qui ont pillé les œuvres culturelles… Après quoi, on a dit que les Africains n'avaient pas de culture !
« Après avoir volé leur culture, on a volé leurs ressources, leurs matières premières, en se servant de la main-d'œuvre locale. On leur a tout piqué et on a répété qu'ils n'étaient bons à rien…
« Maintenant c'est la dernière étape : on leur pique leurs intelligences en leur distribuant des bourses, et on persiste à dire de ceux qui restent : Ces nègres ne sont décidément bons à rien…
– Vous avez évoqué ce sujet avec Nicolas Sarkozy ?
– Oui, et vous ne m'avez jamais entendu parler d'“immigration choisie”… »
1 À Paris, le 13 octobre 2006.
2 Allocution prononcée le 30 mai 2003 lors de sa visite à l'Académie polaire.
3 Allocution prononcée le 15 février 2005 à l'occasion de la réception offerte pour le 50 e anniversaire de la collection « Terre humaine ».
4 Scène décrite à partir du livre d'Anne Fulda, Un président très entouré , Grasset, 1997.
5 Un président très entouré , op. cit.
7.
Le guérisseur
Les rois capétiens, dit-on, guérissaient les écrouelles. Ce pouvoir découlait directement du sacre. Au lendemain de la cérémonie célébrée dans la cathédrale de Reims, le nouveau monarque se rendait en pèlerinage sur le tombeau de saint Marcoult, au prieuré de Corbeny, à mi-chemin entre Reims et Laon, à l'extrémité est du Chemin des Dames. En se recueillant sur la tombe du saint, il acquérait le pouvoir de guérison qui complétait la formule secrète que lui avait léguée son père sur son lit de mort. Lors du rituel du toucher des écrouelles, le roi thaumaturge prononçait traditionnellement la phrase : « Le roi te touche, Dieu te guérit… » Le rite fut respecté jusqu'en 1825…
Pierre Bédier, président du Conseil général des Yvelines, n'est pas loin de penser que ce pouvoir a été repris par l'actuel président de la République : « Jacques Chirac a recouvré la dimension sacrée du pouvoir, il a le pouvoir des chamans ! » Pour ne pas prêter le flanc à l'ironie, l'ancien ministre prononce ces mots d'un ton badin qui lui laisse toute latitude de se rétracter…
Au cours de mon enquête sur l'hôte de l'Élysée, un très sérieux politologue m'a parlé de la chaleur que dégagerait la poignée de main de Chirac, et, sans citer le nom de Bédier, a évoqué devant moi une histoire de guérison dont on attribuerait l'origine au président. « Il a des dons de guérisseur. Vous devriez le questionner à ce sujet. » Je n'avais pas été trop choqué par cette affirmation : je suis moi-même sourcier, et, par ailleurs, j'avais été très ému, impressionné, même, en écoutant Jacques Chirac parler des nombreuses heures qu'il avait passées, pendant plus d'un quart de siècle, auprès des handicapés profonds de Corrèze, de la façon dont il leur touchait la main jusqu'à sentir en eux
Weitere Kostenlose Bücher