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L'inconnu de l'Élysée

L'inconnu de l'Élysée

Titel: L'inconnu de l'Élysée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Péan
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professeur Malaurie dans la défense de cette grande cause […], le respect que l'on doit à ces peuples premiers dont on n'a pas encore estimé à sa juste valeur l'apport qu'ils peuvent faire à l'évolution du monde de demain 2  ».
    Jacques Chirac a été marqué, « choqué », même, par deux grands livres, Les Derniers Rois de Thulé , de Jean Malaurie, et Tristes Tropiques , de Claude Lévi-Strauss, publiés en 1955 dans la collection « Terre humaine » : « Ces deux ouvrages frappaient avec la force d'une révélation. Depuis, rien n'est pareil. Ils ont dessiné, à leur façon singulière, les contours d'une géographie nouvelle. Ils ont jeté une lumière de respect, curieuse et généreuse, sur ces terres éloignées où vivent, rient, aiment, rêvent, souffrent et meurent d'autres hommes 3 … »
    S'adressant directement à Jean Malaurie, le chef de l'État se révélait un peu plus en lui disant appartenir « à cette génération qui a appris à regarder autour d'elle à la lumière de sa passion, par le prisme de son exigence ». La suite de ce discours résonna comme une profession de foi délimitant les contours de son propre humanisme.
    « Bref, vous bousculiez toutes les frontières. Vous vouliez brasser et faire entendre toutes les voix. Consigner les pensées et les paroles de l'homme avant qu'elles ne s'évanouissent. Et faire résonner, dans la vérité du verbe poétique, toute la polyphonie, toute la prose du monde […]. En aventurier, en homme du large, en explorateur des glaces et de leurs peuples, en arpenteur inlassable d'inconnu, vous projetiez, avec cette collection [Terre humaine], cher Jean Malaurie, et pour reprendre l'une de vos formules, de vous “éloigner de la pensée convenue, d'allonger la focale, de voir sous un autre angle, pour faire surgir l'idée neuve” […].
    « Une œuvre de “réfractaire” dont l'idée est née en 1951 d'un sentiment de révolte, d'un haut-le-cœur. Quand, géographe en mission chez les Inughuits d'Ultima Thulé, vous avez découvert cette base militaire brutalement installée dans ce lieu de légende, ce “haut lieu habité par le peuple sans écriture le plus au nord du monde”. Un sacrilège à vos yeux, un viol, un déni absolu […].
    « Réfractaire comme vous, cher Jean Malaurie, vous qui avez si largement consacré votre travail et votre vie à défendre les peuples tout autour du Cercle arctique. Et, en même temps que ce “peuple héroïque aux colonnes brisées”, mais qui résiste, tous les peuples premiers, menacés d'être broyés par une Histoire à sens unique.
    « Avec toute votre fougue et votre formidable énergie, vous avez croisé le fer pour que le monde ne se réduise pas irrésistiblement aux seuls rêves et aux seules ambitions de nos sociétés occidentales. Très concrètement, vous avez donné corps à votre idée géniale d'Académie polaire, j'allais presque dire notre Académie, qui forme désormais à Saint-Pétersbourg des élites autochtones, sensibilisées aux exigences du développement durable autant qu'à la préservation d'un mode de vie traditionnel. Une académie qui offre une autre voie que l'extinction ou l'assimilation. Pour que l'humanité continue demain de s'enrichir de toute sa différence […]. Réfractaire et visionnaire, vous entrevoyiez déjà le monde d'aujourd'hui, sans cesse guetté par l'humiliation et la rancœur d'hommes et de peuples qui se sentent laminés. »

    Ce cri, maîtrisé par les contraintes de la fonction, le président ne le pousse pas seulement pour défendre les peuples premiers du Cercle Arctique russe, il le pousse pour soutenir aussi les Inuits du Canada. Il s'est en effet engagé en faveur de l'autonomie du Nunavut et a été le premier chef d'État étranger à se rendre en visite officielle dans ce territoire, le 6 septembre 1999. Devant l'Assemblée territoriale, il a reformulé les termes de son combat :
    « La naissance du Nunavut a marqué une étape historique pour les premières nations et, au-delà, pour toutes celles et tous ceux qui se battent pour leur identité à l'heure de la mondialisation […]. Ce que l'homme a de plus cher, c'est sa mémoire, c'est son histoire, ce sont ses racines, ses traditions, les valeurs de ses aînés, c'est-à-dire tous ses repères intimes sans lesquels il se sent frustré et malheureux. »
    Idem pour les Amérindiens qu'il voit comme des rescapés du martyre imposé à partir de 1492 par la

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