L'inconnu de l'Élysée
nouvel ancêtre , racontant comment le paléontologue, après onze ans de fouilles, avait mis au jour, dans le désert du Tourab, au nord-est du Tchad, un crâne daté de sept millions d'années baptisé Toumaï (« espoir de vie »), découverte qui a révolutionné l'histoire des origines de l'homme. En prononçant devant Jacques Chirac le nom de Toumaï, j'ai eu le sentiment d'user d'une formule magique qui ouvrait un nouveau tiroir secret. Et le président de s'empresser de m'en livrer partiellement le contenu :
« Mon ami le professeur Brunet… Je l'ai beaucoup soutenu ! Je prétends… je veux dire : on prétend qu'on doit trouver l'origine de l'homme dans le désert libyen. Brunet m'a dit son désir de continuer ses recherches à l'est… Je l'ai emmené voir le Guide [Kadhafi]. Brunet a expliqué ce qu'il attendait de recherches menées en Libye. Le Guide lui a accordé toutes les autorisations nécessaires pour réaliser son projet, et quelques moyens qui ont été complétés par la société Total… »
Le président se tient régulièrement informé de la progression des recherches menées par Brunet : « Je reçois chaque mois une lettre de lui… » D'un seul coup, il se lève de son siège et part à grandes enjambées vers son bureau d'où il revient quelques instants plus tard avec un moulage du crâne de Toumaï qu'il entreprend professoralement de m'expliquer. Il me parle de la forme aplatie du crâne, des deux dents qui y subsistent, de la polémique sur l'interprétation de la position de celles-ci…
Le professeur Brunet m'a fait part à son tour de l'emballement présidentiel. Le chercheur de Poitiers a commencé par me narrer sa rencontre improbable avec Jacques Chirac :
« … En 1789, la France proclamait les Droits de l'homme à l'intention de tout le genre humain. Fidèle à cette vocation universaliste, elle doit aujourd'hui être aux premières lignes du combat pour la bioéthique afin que les sciences de la vie restent des sciences au service de l'homme. Je vous remercie… » Ce 23 février 2003, dans l'amphi Marguerite-de-Navarre du Collège de France, devant quelques centaines de scientifiques, médecins, juristes et philosophes, Jacques Chirac termine son discours prononcé à l'occasion du 20 e anniversaire de la création du Comité national consultatif d'éthique, puis descend entre les travées, accompagné par Didier Sicard, président dudit Comité… Sur le chemin de la sortie, celui-ci lui présente quelques-uns des invités. Le professeur Michel Brunet, invité par Axel Kahn, se trouve justement au bord d'une travée que longe le président, et lui saisit la main :
« Michel Brunet, je suis professeur… »
Didier Sicard s'apprête à intervenir afin de préciser au chef de l'État que ce professeur à la barbe blanche est le grand découvreur de…, mais il est interrompu par le Chirac passionné de paléontologie.
« Je sais, c'est vous qui avez découvert Toumaï… »
Et le président de se lancer dans un long exposé. Le professeur de l'université de Poitiers reste médusé de l'entendre dévider son curriculum vitae et la liste de ses découvertes. Son ego n'a pas le temps de savourer cette douce caresse ; Jacques Chirac l'interpelle :
« Je suis passionné par ce que vous faites et je voudrais vous aider. Vous pouvez me téléphoner. »
Le professeur aurait-il mis à profit cette permission ? Rien n'est moins sûr. Brunet est plus à l'aise dans le désert tchadien que dans le commerce des autorités politiques. C'est Chirac qui finit par l'appeler. « Il m'est apparu si passionné que je lui ai proposé de venir lui présenter Toumaï à l'Élysée. »
« Vous feriez cela ? s'exclame le chef de l'État. Je suis très sensible à votre proposition, mais ce n'est pas possible, car vous feriez prendre trop de risques à Toumaï…
– Si, c'est possible. J'aurais plaisir à le faire, parce que vous êtes le président… »
C'est ainsi que va s'organiser autour de Brunet une séance de présentation des connaissances associant Jean-Jacques Jäger (sur l'origine des anthropoïdés), Yves Coppens et Hélène Roche, du CNRS (sur les différents outils en silex taillé datant de 2,5 millions d'années trouvés au Kenya). Avant le jour J, Jacques Chirac appelle Brunet à plusieurs reprises. La première fois, pour lui demander s'il peut convier certains de ses collaborateurs. « Vous êtes chez vous », lui répond
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