L'inconnu de l'Élysée
l'« inventeur » de Toumaï. Puis il appelle une seconde fois le professeur à Poitiers : « Depuis qu'ils ont su ce qui se préparait, tous veulent venir. Il y en a trop… »
Finalement, la date du 7 novembre 2003 est retenue pour cette présentation exceptionnelle sur les origines de l'homme. La très grande table installée dans la salle de réunion qui jouxte le bureau du président et celui du secrétaire général va servir de présentoir aux silex, os, fossiles, poils de mammouth (apportés par Yves Coppens), crânes, etc. Cette journée du 7 novembre est chargée. Jacques Chirac a reçu en effet Vladimir Poutine, le président russe, avec qui il a eu un déjeuner de travail. Les collaborateurs du chef de l'État ont limité la séance à 60 minutes, de 18 à 19 heures, celui-ci ayant un « rendez-vous important à 19 heures » précisent successivement le chef du protocole et Claude Chirac. Il s'agit d'un rendez-vous avec Daniel Vasella et Éric Cornut, dirigeants du groupe pharmaceutique Novartis.
Le président arrive, salue Michel Brunet et les autres savants, puis prend place en face du chercheur poitevin. Trois crânes Toumaï les séparent : l'original, un moulage parfait, une reconstitution en 3 D. Jacques Chirac reconnaît d'emblée l'original. Il s'assied avec Claudie Haigneré à sa droite et Yves Coppens à sa gauche, et s'adresse à son vis-à-vis :
– Professeur, est-ce que je peux toucher ? fait-il en désignant le crâne de Toumaï.
Il se lève, touche Toumaï de l'index. Brunet immortalise la scène avec son appareil photo. Chirac est manifestement ému.
Pendant deux heures d'horloge, les quatre scientifiques se relaient pour faire partager leurs connaissances en analysant les pièces exposées sur la table. Par des questions pointues, Chirac montre qu'il connaît bien le sujet. De petits billets lui sont discrètement acheminés. Probablement pour lui rappeler qu'il a un rendez-vous important à 19 heures alors que l'heure fatidique est déjà largement dépassée. Au grand dam du chef du protocole, la séance se termine vers 20 heures après que le président a fait passer tout le monde dans son bureau pour immortaliser la rencontre…
Le président rappellera Brunet à plusieurs reprises pour lui proposer son aide. Il lui demande de lui faire signe quand il sera de passage à Paris afin qu'ils déjeunent ensemble. Brunet saisit enfin la perche présidentielle.
« Vous pouvez m'aider. Je voudrais étendre mes recherches en Libye et, à cette fin, rencontrer le colonel Kadhafi…
– Je vais vous y aider », répond aussitôt le chef de l'État.
Le professeur avait déjà adressé la même demande au Quai d'Orsay où on lui avait pratiquement ri au nez.
Quelque temps plus tard, il reçoit un coup de fil de l'Élysée pour l'inviter à participer au voyage officiel du président en Libye, qui doit avoir lieu les 24 et 25 novembre 2003. Brunet se retrouve ainsi, dans l'après-midi du 23, sur le tarmac du Bourget au milieu de capitaines d'industrie et de hauts fonctionnaires qui le regardent d'un air condescendant. Chirac ne voyage pas à bord du même avion.
Le lendemain matin, Brunet se tient dans le hall du grand hôtel où est descendue la délégation française. Chirac déboule et, ignorant le gratin qui l'escorte, marche droit sur l'“inventeur” de Toumaï :
« Professeur, ce soir, lors du dîner de gala, je vous présenterai personnellement au Guide… »
Aider le professeur Brunet à étendre ses recherches en Libye est pour lui si important qu'il déclare vouloir parapher le contrat de coopération entre l'université de Poitiers et celle de Benghazi tout au début de la batterie de signatures… Le soir, la délégation se dirige vers la salle prévue pour abriter le dîner de gala offert par le colonel Kadhafi en l'honneur de Jacques Chirac. Au tout dernier moment, les services de sécurité bousculent le programme et décident de changer le lieu des réjouissances. Pagaille indescriptible dans la nouvelle salle où les tables ne sont même pas dressées. Dans un coin, une grande table rectangulaire avec deux fauteuils éloignés l'un de l'autre et deux chaises laissent augurer que c'est là que dîneront les deux chefs d'État. Chirac arrive, commence par rapprocher son fauteuil de celui du Guide, et lui offre une édition rare d'œuvres de Montesquieu, auteur admiré par le colonel libyen. Le repas commence. Brunet, qui ne connaît personne,
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