L'inconnu de l'Élysée
plus ramassée, de son monde…
Je n'ai pas réussi d'emblée à convaincre le président de me faire visiter son bureau et n'aurais jamais pensé lui parler de sa serviette noire, puisque je n'en connaissais pas l'existence. Pourtant, c'est d'abord cette serviette que j'ai eu l'heur de « visiter ».
Le 26 août 2006, comme je l'interrogeais sur sa parfaite connaissance chronologique de l'histoire de l'humanité et des grandes civilisations : « C'est vrai, ces chronologies sont indispensables à la compréhension du monde, me répondit-il.
– Depuis votre jeunesse, en ayant commencé par l'art et l'Asie, vous avez eu l'ambition de comprendre les grands mouvements de l'humanité.
– Comme tout le monde, non ? »
D'un seul coup, il se lève et me quitte pour passer dans son bureau voisin. Quelques instants plus tard, il en revient avec une belle serviette de cuir noir.
« On se soûle, mais on se nippe, comme disait mon père… Voici ma serviette, le cartable que j'emporte dans les grandes réunions internationales… »
Et de m'expliquer que, dans celles-ci, il y a beaucoup de temps morts, qu'« on s'y emmerde, et que moi aussi j'y emmerde les autres… » Je crois comprendre que le président, par cet aveu, va me faire pénétrer un peu plus avant dans son intimité. J'apprendrai plus tard que si sa femme et sa fille connaissent l'existence de la fameuse serviette, elles n'ont jamais eu accès à son contenu. Lequel est manifestement une représentation de ce qui fait l'essentiel de sa vie : c'est son viatique (dans toutes les acceptions du mot 1 ). Il est de tous ses voyages, pour l'avoir toujours à portée de main.
Jacques Chirac ouvre devant moi le cartable noir, en sort des dossiers recouverts de plastique transparent, les pose devant lui, sur la table, avant de me les passer. Toutefois, il en garde un par devers lui en me précisant qu'il s'agit d'une grande photo de son petit-fils Martin.
Je consulte fébrilement les précieuses fiches et tente de les mémoriser, car j'ai peur que le président ne me les reprenne des mains rapidement. Il faut vraiment être passionné pour se plonger dans des chronologies aussi arides et trouver plaisir à consulter ces pensums rédigés pour la plupart par des spécialistes du CNRS : Les grandes étapes de l'Histoire de l'homme de l'origine à la Provence romaine… Corrélation Japon, Viêt-nam, Égypte (sous-titré : Du roi Scorpion ), un magazine affichant en couverture Les Sept Grandes Religions , et, last but not least , une page recto verso intitulée D'où venons nous ?… Qui sommes nous ?… Où allons nous ? Des passages de cette fiche sont surlignés au stabilo vert. La fiche commence par ces lignes :
« Voici trois grandes interrogations fondamentales que chacun d'entre nous se pose, chaque jour, plus ou moins consciemment.
« En cette époque d'incertitude générale, le problème des origines de notre espèce a pris une très grande importance, comme le montre l'intérêt croissant que portent non seulement les chercheurs, mais aussi le grand public, à toutes les informations qui concernent l'homme fossile et son environnement… »
Suivent des informations chiffrées sur l'évolution de l'homme, avec mentions, soulignées en vert, « de l'émergence de la notion de symétrie et de l'acquisition d'un certain sens de l'esthétique avec l' Homo erectus […], des premiers rites funéraires et de la naissance de la pensée religieuse avec l' Homo sapiens […], de l'invention de l'art, il y a un peu plus de 30 000 ans, des outils composites : harpons dont les barbelures sont constituées de microlithes géométriques… » Toutes informations qui sont au centre de sa quête commencée dès l'âge de 14 ans…
La fiche se termine par : « C'est l'Humanité tout entière qui doit élaborer une nouvelle éthique planétaire capable de gérer l'Avenir de l'Homme en gardant en mémoire son origine, sa lente et laborieuse ascension, et ses liens essentiels avec le milieu naturel qu'il doit préserver. »
Je m'étonne de ne pas voir de fiche sur les Celtes. Il dit s'y intéresser depuis très longtemps. Et de s'enflammer sur les découvertes faites à Halstatt au xix e siècle, « sans lesquelles on ne pourrait comprendre la suite de l'histoire de l'Europe ». En 1824, les premiers indices d'une importante nécropole de l'âge de fer furent en effet découverts sur ce site de Haute-Autriche. Deux mille tombes furent
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