L'inconnu de l'Élysée
oui… On parle gentiment. On a essayé, avec des gens très gentils, de tenter de l'occuper à un semblant de travail, même non rémunéré… Mais il n'y a rien à faire. Pour ma femme, c'est un poids considérable.
– Les coups de poignard politiques ne sont rien, à côté d'une telle souffrance ?
– Je me fous éperdument que Sarkozy ou tel autre… Je me fous de beaucoup de choses… Je tiens à souligner que ma femme a eu ce mérite extraordinaire d'avoir toujours fait en sorte que ce problème m'affecte le moins possible au fil de mes responsabilités et ambitions successives, et elle continue à tout faire pour l'assumer entièrement…
Jacques Chirac fait le lien entre l'action de sa femme auprès de Laurence et son implication dans la Maison de Solenn 4 – la Maison des Adolescents, une « superbe réalisation » : « Elle a réussi à convaincre ce professeur si télégénique, le professeur Rufo, de venir de Marseille pour prendre la direction de la Maison de Solenn. »
Retour dans le petit bureau de l'Élysée occupé par Bernadette Chirac, encombré de nombreux menus objets : beaucoup de tortues, quelques croix, une Vierge offerte par Jean-Paul II… Je lui dis que son mari m'a parlé de Laurence. « C'est la croix de notre vie », lâche-t-elle avant d'en venir à un épisode particulièrement douloureux : « Des “apôtres de la médecine” en cancérologie, qui avaient pitié de nous, étaient venus voir mon mari à l'Hôtel de Ville pour lui proposer de prendre Laurence, à titre bénévole, dans un service de réanimation… Un jour, un interne s'adresse à elle en ces termes : “Toi, on sait pourquoi tu es là, et à quoi tu le dois !” Laurence a alors pris son sac et elle a foutu le camp. C'est moche. Vous croyez vraiment qu'un type comme ça est digne de soigner les autres ? Comme c'est une fille très fragile, elle n'a jamais voulu retourner à l'hôpital […]. Il va falloir maintenant [après la mort de Louis Bertagna] que j'écrive une nouvelle page. Tout cela a été et reste très douloureux. Claude en a aussi beaucoup souffert. Ça a déséquilibré notre famille. J'essaie d'en parler le moins possible à mon mari. C'est pas la peine d'insister. À quoi cela servirait-il ? À rien. Il a un lourd fardeau à porter. Il faut lui dire des choses joyeuses, lui parler de Martin 5 , de l'avenir… »
Appartenant à une génération encline à respecter la vie privée, y compris celle des hommes publics, j'avais décidé de laisser Jacques Chirac libre d'aborder ou non deux sujets : la maladie de Laurence, d'une part, et, d'autre part, ses succès féminins qui ont pourtant fait l'objet de nombreuses gloses dans la presse et l'édition.
À ma grande surprise, c'est lui qui m'a apporté, au début de notre troisième entretien, un article de huit pages paru dans Paris Match du 13 juin 1996 et intitulé « Chirac. Sa fiancée américaine », agrémenté de l'introduction suivante :
« Le président français avait en vain demandé à son ami George Bush [père] de la retrouver. Paris Match a découvert où elle vivait et l'a rencontrée : Florence Herlihy était la fiancée américaine d'un étudiant de Sciences-Po inscrit à l'université d'été de Harvard et appelé Jacques Chirac. Le président a souvent raconté comment il était sans doute le seul chef d'État non américain à avoir travaillé dans un fast-food… Pour améliorer ses revenus, il avait aussi apposé une petite annonce proposant de donner des cours de latin. Une jolie jeune fille venue d'Orangeburg, en Caroline du Sud, lui avait répondu. Elle était justement venue à Boston suivre un cours de rattrapage dans cette matière, avant d'entrer au collège religieux de la Trinité, à Washington. Quarante-trois ans plus tard, Florence, mère de deux filles, divorcée d'avec un officier, nous raconte son été 1953, celui qu'elle appelle encore le plus bel été de sa vie… »
Commentaire du président : « J'ai été fiancé avec une Américaine. Une jolie fille avec des taches de rousseur qui possédait une Cadillac convertible. » Il avait décidé de se marier avec elle et écrit à ses parents qui avaient d'autant moins apprécié que Jacques était déjà fiancé avec Bernadette Chodron de Courcel. « Ça a chauffé ! Je me suis défiancé et suis parti à La Nouvelle-Orléans », commente aujourd'hui sobrement le chef d'État qui fait toutefois remarquer que, contrairement
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