L'inconnu de l'Élysée
progressivement mises au jour et permirent de situer les débuts de la civilisation celte. Pour parler de ces découvertes et de leurs conséquences sur la connaissance, le président use d'épithètes dont il est pourtant avare : l'adjectif « éblouissant » revient à plusieurs reprises.
Sa passion des Celtes me permet de faire une transition en m'appuyant sur une page du livre de son ancien directeur de cabinet à la mairie de Paris, Bernard Billaud. Celui-ci rapporte un dialogue sur l'histoire, qu'il a eu avec lui dans la capitale italienne, le 25 avril 1980 : « Il n'y a pas de lieu au monde où l'on ressente, plus qu'à Rome, la pesée de l'histoire, au point d'en être écrasé, lui confie Jacques Chirac. C'est comme si les pierres de ces colonnes en ruines me tombaient sur la tête. Je ne supporte pas d'être ainsi lapidé par ces réminiscences d'un passé qui étouffe la vie et qui bloque l'avenir ! » Il parle ensuite de « tous ces palais romains, de ces pierres, de ces rues d'où suinte la mort ». Billaud rapproche ces propos de ceux qu'il a tenus peu de temps auparavant devant cinq journalistes et qui lui furent rapportés par Jean Neuvecelle, alors envoyé spécial permanent à Rome de France-Soir et de l'ORTF. Chirac avait déclaré « vomir la civilisation romaine, qui nous a privés de notre identité et de notre âme celtes ». Pour lui, le christianisme n'a ni l'ancienneté, ni la tolérance, ni la véritable profondeur mystique des grandes religions asiatiques. Le doigt vengeur pointé vers moi, il proclame, mi-sérieux, mi-moqueur, son aversion pour la civilisation de la pierre qui s'est épanouie à Rome et à Athènes – une civilisation de barbares, dit-il : « Ici ne se trouvent sûrement pas nos racines et c'est une imposture de prétendre que nous sommes issus de Rome et d'Athènes… »
En ce samedi matin de la fin août, face à un Chirac en jean et pull léger, le visage cuivré par le hâle brégançonnais, je tente de savoir s'il assume toujours de tels propos. Le souffle n'y est pas, mais, à l'évidence, il n'a pas changé d'opinion. En quelques formules lapidaires, il m'expose que « Rome a été une civilisation occupationnelle qui a asservi les autres peuples, une civilisation de type colonial »…
Dès notre premier entretien, j'avais émis le vœu qu'il me fasse visiter son bureau. Il accepte finalement, sans enthousiasme, de se transformer en guide, lors du quatrième, le 3 septembre 2006, ne voyant pas très bien où je veux en venir et estimant de surcroît que je lui fais perdre son temps. Nous passons donc de la salle de réunion, où officiait en d'autres temps Jacques Attali, à son bureau.
À gauche de l'entrée, une console en ronce d'acajou, de style Louis XVI, avec un dessus de marbre blanc et deux étagères. Tout en bas, une sorte de coffret offert par Boris Eltsine : les deux éditions d' Eugène Onéguine évoquées précédemment. Sur l'étagère intermédiaire, une petite tête de cheval pré-hellénistique : « Je l'aime bien, non qu'elle soit particulièrement belle, mais parce que c'est Maurice Rheims qui me l'a offerte. » Posée au-dessus, une très imposante Boli du Mali : « Une très belle pièce bambara, que j'aime beaucoup et qui est très fragile. Elle incarne une certaine vision de la vie. Elle est fabriquée avec toutes sortes de cochonneries. C'est un fétiche. C'est mon cabinet qui me l'a offert. Elle appartenait à la collection de Jacques Kerchache… »
De l'autre côté du canapé de bois doré, la même console en ronce d'acajou supporte une reproduction du crâne de Toumaï.
Devant le canapé, des tasses japonaises – « Je les aime bien, mais elles n'ont aucune valeur » – sont posées sur une table chinoise de laque noire, aux côtés d'un cheval mongol du début du xviii e , deux petits éléphants « qui, eux non plus, ne valent strictement rien », mais qui lui ont été offerts par le ministre de la Culture et des Sciences d'Inde, lequel lui avait servi de cicerone lors d'un de ses voyages officiels : « Il parlait très bien de toutes sortes de choses, je lui ai offert une montre à double cadran et il m'a en retour offert ces deux petits éléphants qui ne présentent guère d'intérêt. Je les ai remis là parce qu'il est venu me rendre visite la semaine dernière… »
Toujours sur la même table basse chinoise, trois pièces inuits, un bœuf laineux, un phoque et un ours : « Je
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